Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/97

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la tristesse qui parfois les accompagne aussi, nous souvenant de ces vers du poète ancien (je cite grossièrement de mémoire une des nombreuses traductions du dix-neuvième siècle) :

Les Dieux ont façonné la douleur de l’homme et ses tourments,
Pour qu’il reste ensuite à l’homme à les raconter et les chanter.


Oui, oui, il y a peu de chances évidemment que l’on manque de tout poème et que toute tristesse soit guérie.

Il se tut quelque temps, et je ne voulais pas l’interrompre. Enfin il reprit :

— Mais vous devez savoir que nous autres, dans ces générations, sommes robustes et avons la vie facile ; nous passons nos vies en lutte raisonnable avec la nature, nous n’exerçons pas seulement une partie de nous-mêmes, mais toutes les parties, nous prenons le plus vif plaisir à toute la vie du monde. Et puis c’est un point d’honneur parmi nous de ne pas nous considérer comme le centre de tout, de ne pas croire que le monde va s’arrêter parce qu’un homme est triste ; aussi nous trouverions stupide. ou, si vous voulez, criminel, d’exagérer ces questions de sentiment et de sensibilité : nous ne sommes pas plus portés à augmenter nos tristesses sentimentales qu’à faire les douillets pour nos souffrances corporelles ; et nous reconnaissons qu’il y a d’autres plaisirs que de faire l’amour. Vous devez vous souvenir aussi que nous avons la vie longue, et que par suite la beauté, chez l’homme et chez la femme, n’est pas aussi éphémère qu’elle était à l’époque