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Page:Wilson - L'appel du Chibougamau, 1956.djvu/105

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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

Parfois, il restait dehors, attendant que le gong sonnât. Assis sur une souche, il regardait dans le vide, immobile, la face inexpressive, véritable symbole de l’éternité. Je l’observai ainsi un jour, durant une heure, montre en main. Il ne bougea pas plus qu’une statue. À la fin, je lui demandai à quoi il pensait. Il daigna sourire et répondit « Rien ».

Une fois que j’étais assis à côté de lui à la table où nous mangions, je remarquai qu’il avait une grosse bosse, haut placée dans le dos, entre les omoplates. Eut-elle été six pouces plus bas, on aurait dit un bossu. Il déclara que cette protubérance lui était venue en portageant les canots. Enlevant sa chemise, il exposa un paquet de chair musculeuse, en même temps dure et souple comme du cartilage, à peu près les dimensions d’une demi « football ». Non seulement ce n’était pas douloureux, mais très commode lorsque la barre de traverse du canot s’appuyait dessus durant les portages, dont certains étaient de trois milles de longueur.

Le dimanche matin, son frère n’ayant pas reparu, il emprunta un canot et pagaya jusqu’à la baie des Cèdres, à cinq milles plus bas sur le lac aux Dorés. Et c’est ainsi que j’ai constaté que les Indiens n’ont ni le sens du temps, ni celui de la responsabilité.

Un autre Indien me donna le frisson, lorsqu’il apparut subitement à mes côtés, silencieux comme une ombre, alors que je travaillais à mon établi.

C’était par un temps lourd ; la tranquillité était totale. Je venais d’entendre le vague grattement d’un mulot, sur le plancher du hangar. Pourtant, ce sauvage s’approcha jusqu’à un pied de mon dos sans faire le moindre son ; il aurait pu rester ainsi pendant une heure sans que je le sache, si ce n’eût été la forte odeur de son corps malpropre qui me parvint aux narines.