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Page:Wilson - L'appel du Chibougamau, 1956.djvu/139

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L’ÉPOPÉE DE L’UNGAVA

du globe. Dans l’océan Indien et le Pacifique, j’ai bravé des mers démontées sans que j’en fusse, moi, démonté ; de fait, j’adore la lutte entre le vent et les voiles… mais l’altitude ! Non.

Un jour, à la base du lac Caché, je regardais « Skip » Lemorier, un pilote du Mont Laurier, fréter un avion Norseman. Au moment de s’installer dans la carlingue, il me cria : « Sautez dedans, je vais à Roberval et reviendrai cet après-midi. Le temps est magnifique. Vous aimerez la randonnée. »

« Skip » respirait tellement la confiance, que je jetai mon havresac dans l’appareil et montai dans le siège du pilote de relève, en me jurant tout bas que je vaincrais ma crainte irraisonnée des hauteurs. L’avion glissa avec un bruit de tonnerre sur les eaux du lac Caché prit son essor comme une mouette et vira vers le sud-est. Il n’avait pas franchi un mille, que la peur s’empara à nouveau de moi. Abandonnant mon siège, je rampai jusqu’à l’intérieur où je demeurai accroupi, parmi des monceaux de sacs postaux et d’équipement minier.

Soudainement, j’aperçus quelque chose qui bougeait à mes pieds. Mais oui, c’était un esturgeon vivant ! « Skip » me cria qu’un prospecteur avait capturé ce fabricant de caviar une heure ou deux avant le départ de l’avion, et que le frétillant individu s’acheminait, dans une place de première classe, vers une casserole de la ville de Roberval.

On eût dit que l’esturgeon me fixait de ses yeux immobiles ; ses ouïes s’ouvraient et se refermaient avec régularité… Il n’avait nulle envie de mourir ! Le froid regard du poisson m’ennuyait (il me rappelait un courtier à qui j’avais confié jadis, hélas ! ma bourse). Je le poussai du pied afin de l’orienter dans une autre direction ; mais le misérable barbu ne l’entendait pas ainsi. Il se tortilla si