Aller au contenu

Page:Wilson - L'appel du Chibougamau, 1956.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

bien qu’à nouveau il braqua son regard fixe sur ma malheureuse personne.

J’avais presque envie de reprendre mon siège près du pilote ; j’y songeais, la tête appuyée sur mon havresac, lorsque je sentis un objet cylindrique me presser la base du crâne. Plongeant la main dans mon havresac, j’en retirai une bouteille de whisky. (Comment avait-elle bien pu se fourrer là ?). J’en avalai une grande lampée (pour fins médicinales, ainsi que le disait ce grand boxeur et formidable biberon, John L. Sullivan). Il ne fallut que quelques minutes pour que je me sentisse calme et reposé ; comme résultat, je bus encore deux ou trois gorgées (toujours dans un dessein thérapeutique). Après la quatrième ingurgitation, je me levai et, avec un calme magnifique, me réinstallai sur le siège du pilote de relève. L’alcool avait complètement changé mes sentiments et je pouvais maintenant sans me tourmenter, plonger mon regard vers la terre, à plusieurs milliers de pieds sous l’appareil. Lorsque nous fûmes à proximité du lac Saint-Jean, « Skip » me laissa manier les doubles commandes. Et c’est ainsi que l’homme le plus craintif dans les airs, « Vertigo » Wilson, conduisit lui-même un avion. C’est une façon comme autre de conquérir la phobie de l’altitude.

Dès que je mis pied sur le sol à Roberval, je serrai la main de Joe Sharpe, un prospecteur très connu, qui avait séjourné plusieurs années au Chibougamau. Joe, célèbre pour sa force et son endurance, avait plus d’une fois parcouru en raquettes, durant l’hiver, la distance qui séparait Saint-Félicien de son « campe », soit 150 milles. Cela lui prenait deux jours et deux nuits, marchant sans arrêt, sauf une halte tous les quarante milles pour fumer et pour casser la croûte. Il marchait dans la neige épaisse de la forêt, sans daigner camper pour dormir. Lorsque je lui