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Page:Wilson - L'appel du Chibougamau, 1956.djvu/89

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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

et fonçaient sur St. Félicien ou Roberval, deux bourgs « secs »… où, en effet, l’on buvait plus sec que dans toute l’Irlande.

Dans ces deux villages, les bootleggers étaient aussi nombreux que des abeilles sur une soucoupe de miel. Leur clientèle consistait en prospecteurs, foreurs et ingénieurs, tous grands observateurs de la tempérance… mais dans la brousse. Ici, ils se saoûlaient admirablement ; quand ils approchaient du coma, le prix du whisky doublait, car les bootleggers leur soufflaient à l’oreille : « Il ne me reste qu’une bouteille. »

Je n’entends pas que tous les gens intéressés aux mines du Chibougamau levaient le coude avec cette facilité. Il y avait des poivrots repentis, qui ne buvaient que du thé. L’un d’eux, ivrogne réformé et membre en vue des Alcooliques anonymes, me révéla qu’il avait renoncé à l’alcool la fois que son miroir lui avait montré qu’il possédait deux têtes, l’une par dessus l’autre !

Un autre, qui n’absorbait plus que de l’« aqua pura ». m’expliqua : « Après vingt années de cuites ininterrompues, je cessai brusquement un matin, alors que je me rasais. J’avais la vue embrouillée et comme je me penchais pour examiner ma figure boursouflée, mon haleine fendit le miroir fixé au mur. Je n’ai pas pris un verre depuis et le seul miroir que j’utilise maintenant en est un d’acier poli ».

De tous les individus compris dans la fraternité minière du Chibougamau, les plus personnels et les plus intéressants sont les prospecteurs. Ce sont des individualistes, des aventuriers, et des joueurs, adeptes de la philosophie qui veut que le gagnant prenne tout et que le perdant se suce les pouces. Ils risquèrent tout contre cette région précambrienne, aux gisements minéraux placés comme des casse-tête et c’est dame Nature qui distribuait les cartes, la plupart prises sous le paquet. La vieille rusée les avait