Loin, loin, à l’horizon, se dresse le pic du mont San-Francisco, à quatorze mille pieds d’altitude. Nous sommes encore dans la région de la végétation rabougrie : cactus, aloès, brousse, ronces, sables, cailloux, torrents desséchés, rivières à sec, sur les fonds desquels trottent les Mexicains, les sauvages, les métis, à dos de mules et de bourriquets. Hier, nous avons traversé les réserves des Navajos, des Hopis, des Supais qui habitent des maisons en brique de terre crue. Assez jolis, doux et civilisés, ils vivent cependant à la mode indienne.
La route du chemin de fer Santa-Fé conduit au sud, à quelques cents milles de la frontière du Mexique. Deux jours et deux nuits durant, nous traversons un désert ininterrompu, aussi aride que le Sahara, avec cette différence que le sable, moins fin et moins léger, est plus réfractaire à l’action du vent ; de petits arbustes de deux à trois pieds de hauteur croissent ça et là par touffes et retiennent les dunes de silicate qui ondulent sous le vent. À l’époque des grandes pluies, les torrents ravagent les voies ferrées ; par bonheur, il pleut rarement. Les postes de ravitaillement, les gares, les mines s’approvisionnent d’eau par des trains-réservoirs. On tire l’eau de puits artésiens très profonds.
Les gares sont magnifiques ; les buffets, excellents, bien aménagés, bien approvisionnés. Tout le réseau ferroviaire du Santa-Fé est régi par le système Harvey : wagons-buffets, à la carte et à table d’hôte.
Sur le train, on cause politique ; c’est l’opinion admise, partagée par tout le monde que Harding va l’emporter par une immense majorité. La joute de baseball pour le championnat du monde passe toutefois avant la politique. On cause aussi whisky et prohibition. Même lorsqu’on traverse les États ultra-prohibitionnistes, comme le Kansas et l’Iowa, on sent que chacun a sa petite provision. L’hypocrisie, comme la contrebande, a ses compartiments secrets… jusque sur les chemins de fer. Vivant à Montréal, j’étais à leurs yeux le plus heureux des mortels.