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radieusement enlacés, dans la région mélodieuse d’un rêve… Puis l’amour cesse, le miracle disparaît. Le moine songe qu’il est un pauvre moine vieilli ; vainement il évoque à nouveau la craintive amie. Retourne-toi, bon prêtre, à tes parchemins, reviens à ton obscur destin de fantôme ; bientôt t’effacera le dernier effacement, là-bas, sous les dalles funèbres[1] !

Un cygne se lamente, attaché par l’aile à la surface d’un lac dont les eaux sont gelées, éternellement. Il aurait pu, jadis, chanter, — créer — une autre région : là, il aurait vécu, abrité des hivers stériles et de l’ennui. Hélas ! il est, aujourd’hui, devenu l’esclave de ce monde glacé. Son aile est attachée à la surface du lac, éternellement ! Éternellement ? Ne peut-elle s’arracher, en ce jour nouvel et vivace de la science regagnée ? Mais son col secoue vainement cette blanche agonie ; vainement il a nié l’espace qui le tient, et qu’il sait avoir créé. L’habitude cruelle le rive au sol : il peut mépriser cette vision de malheur : toujours, désormais, il la devra subir[2].

En d’étranges petits poèmes non rimés[3], le poète avait déjà indiqué cette signification idéale de la vie.

C’est une morte aimée, que le désir ressuscite : c’est un banal spectacle de foire, transformé par les yeux « différents » du poète, c’est l’admirable phénomène futur, l’évocation momentanée, devant notre âge de laides fantaisies, l’évocation de ce rêve ancien, devenu mystérieux : la Beauté de la Femme.

La philosophie de M. Mallarmé, durant cette période

  1. Prose pour des Esseintes (Revue indépendante, janvier 1885).
  2. Sonnet (Revue indépendante, mars 1885).
  3. Pages oubliées (République des Lettres, 1re année).