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de sa vie, est ainsi la reconnaissance de l’impérissable Fiction. Une phrase la résume, extraite des poèmes en prose : « Artifice que la Réalité, bon à fixer l’intellect moyen entre les mirages d’un fait[1]. »

III

Par quelle forme la Poésie devait-elle exprimer les émotions de ces rêves philosophiques ? Le problème était malaisé. Il se rattachait à ce problème plus général : par quelle forme la Poésie peut-elle exprimer les idées qui émeuvent le poète, et, en même temps, suggérer les émotions définies qui accompagnent ces idées ? À ce problème encore, maintes solutions, suivant la diversité des habitudes et des tempéraments. M. Mallarmé l’a résolu, comme il convenait, en logicien et en artiste.

D’abord, il a admis une proposition évidente : c’est que l’émotion poétique, ainsi que toute forme élevée de l’Art, devait résulter, dans l’âme du lecteur, d’un travail de création pareil à celui qu’a, d’abord, accompli le poète. Le lecteur n’aura la complète joie de l’Art que s’il refait, complètement, l’œuvre de l’artiste. La Poésie ne doit donc pas être de lecture cursive, et distraite : elle doit demeurer incompréhensible à ceux qui n’ont point assez l’amour des jouissances esthétiques pour lui dédier, longuement, toute leur âme. Il faut la faire un temple très hautain, fermé aux lâches de l’Art, translucide aux volontés bonnes. Les admirations som-

  1. Le Spectacle interrompu (tiré des Pages oubliées).