Aller au contenu

Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
100
NOS MAÎTRES

émotions que les syllabes évoquent sont tellement délicates et ténues, qu’elles requièrent absolument l’adjonction à elles d’idées précises.

Des émotions justifiées par des sujets, c’est l’objet de la Poésie. Telle est la règle ferme et première que M. Mallarmé a nettement sentie : par elle la poésie devient un art. Mais quels sujets siéent à la poésie ? Divers, suivant la diversité des poètes. La nature mobile et indéfinie, les femmes, l’or : ce sont choses émouvant les uns, indifférentes aux autres. Et chaque poète doittraduire, par la musique des mots, les idées et les émotions dont il est lui-même plus intensément saisi.

M. Mallarmé était un artiste : les sujets de ce genre, qui supposent une croyance complète à la réalité sensible, ne le séduisaient point. Et comme son esprit, tout logique, allait d’instinct aux raisonnements désintéressés, il fût spécialement ému par les spéculations théoriques. C’est à la recherche de la vérité qu’il goûtait ses plus conscientes, ses meilleures joies. Il voulut donc, dans ses poèmes, recréer les joies de la recherche spéculative, et il voulut, pour les mieux recréer, indiquer aussi leur sujet. Il fut amené à dire sa philosophie, non pour la dire, mais parce qu’il ne pouvait faire sentir d’autre façon ces joies philosophiques, ces joies suprêmes, qu’il voulait exprimer.

La philosophie de M. Mallarmé fut celle que lui commandaient ses qualités natives. Il admit la réalité du monde, mais il l’admit comme une réalité de fiction. La nature avçc ses chatoyantes féeries, le spectacle rapide et coloré des nuages, et