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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/111

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M. STÉPHANE MALLARMÉ

préparation à la forme poétique véritable, une préparation salutaire, mais désormais achevée. Les poètes Parnassiens avaient cherché des musiques ; mais ils n’avaient pas employé ces musiques à exprimer des émotions définies : il pensa que la poésie devait être un art, c’est-à-dire la création libre et consciente dune vie spéciale. Pour cette fin la poésie devait s’unir à la littérature, qui traduit les idées par des mots précis. Les poètes antérieurs avaient fait une pure musique ; séduisant par elle seule : M. Mallarmé crut que la poésie devait signifier quelque chose, créer un mode entier de la vie. Mais à cette destination nouvelle convenaient des moyens nouveaux : et M. Mallarmé fut ainsi amené à considérer quelles choses la poésie devait signifier, et par quels moyens.

La poésie devait être un art, créer une vie. Mais quelle vie ? Une seule réponse était possible : la poésie, art des rythmes et des sons, devait, étant une musique, créer des émotions. Or les émotions, dans notre àme, sont inséparables de leurs causes, des idées qui les provoquent. Le plaisir, la douleur abstraits n’existent point : il y a seulement des idées joyeuses ou pénibles. Une sonate peut bien nous procurer des émotions sans le secours d’un texte, scénario, ou programme : mais, d’abord, la langue de la musique instrumentale est plus précise que la langue émotionnelle des syllabes ; et puis cette musique même crée une vie moins pleine que la musique dramatique, où l’auteur nous donne, avec les émotions, l’énoncé de leurs causes. Et cette nécessité est plus vive encore pour la poésie : les