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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/115

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M. STÉPHANE MALLARMÉ

face d’un lac dont les eaux sont gelées éternellement. Il aurait pu, jadis, chanter — créer — une autre région : là il aurait vécu, abrité des hivers stériles et de l’ennui. Hélas 1 il est aujourd’hui devenu Tesclave de ce monde glacé. Son aile est attachée à la surface du lac, éternellement. Éternellement ? Ne peut-elle s’arracher, en ce jour nouvel et vivace de la science regagnée ? Mais son col secoue vainement cette blanche agonie ; vainement il a nié l’espace qui le tient, et qu’il sait avoir créé. L’habitude cruelle le rive au sol : il peut mépriser cette vision de malheur : toujours, désormais, il la devra subir[1].

En d’étranges petits poèmes en prose, M. Mallarmé avait déjà indiqué cette signification idéale de la vie.

C’est une morte aimée, que le désir ressuscite ; c’est un banal spectacle de foire, transfiguré par les yeux différents du poète ; c’est l’admirable phénomène futur, l’évocation momentanée, devant notre âge de laideur, l’évocation de ce rêve ancien, désormais oublié : la beauté de la femme.

La philosophie de M. Mallarmé, durant cette période de sa vie, est toute, ainsi, la reconnaissance de l’impérissable Fiction. Une phrase la résume, extraite des poèmes en prose : « Artifice que la réalité, bon à fixer l’intellect moyen entre les mirages dun fait. »

  1. Sonnet publié dans la Revue indépendante en mars 1893.