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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/117

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M. STÉPHANE MALLARMÉ

cuite à point, aux appétits faciles des passants ?

M. Mallarmé s’est ainsi résigné à n’être point clair pour ceux qui, avant d’être initiés, demandaient le temps de rire. Il a pu, à ce prix, atteindre le but qu’il avait en vue : traduire des idées, et suggérer en même temps les émotions de ces idées.

Aux points saillants de ses poèmes il a disposé des mots précis, indiquant l’idée : c’est le sujet ; et ce sujet apparaît clairement à ceux qui daignent d’abord lire une fois la pièce entière. (Les ignorants de la musique raillent-ils donc Beethoven, parce qu’ils doivent déchiffrer lentement ses partitions, avant d’en revivre la joie ?) Le sujet apparaît clairement, sous les modulations environnantes des syllabes musicales, comme apparaît, dans une fugue, le thème fondamental, malgré le conflit incessant des contre-sujets. Parfois aussi le poète doit, pour les besoins de la musique, — n’est-elle point le but essentiel ? — employer des métaphores et des périphrases : mais un moment vient enfin où l’elTort est achevé ; et notre patience de lectures multiples nous vaut alors le bonheur d’une pleine création artistique.

Car, lorsque les mots littéraires, indiquant le sujet, ont été entièrement perçus, les syllabes voisines nous révèlent leur destination intime ; elles sont l’accompagnement musical de l’idée : et combien précis, continu, adéquat à l’idée qu’il escorte ! Toutes les trouvailles des poètes Parnassiens sont ici employées, mais logiquement et sagement, par un artiste maître d’elles, conscient de leur portée expressive.