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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/126

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NOS MAÎTRES

s’imposera surtout à notre admiration parce qu’il aura été un artiste.

C’est que seul parmi nous, ou du moins à un plus haut degré que tout autre, M. Mallarmé, nous aura donné l’image d’un artiste véritable. Il a seul préféré toujours, à tous les argents, à toutes les gloires, la création libre et consciente dîme vie artistique. Un fou, dira-t-on ? Oui, assurément. Car la folie n’est qu’une « différence ». Et non pas un fou pareil à tel autre récitateur merveilleux, qui crée aussi un monde différent, mais de façon instinctive, sans la joie consciente de se connaître créateur. La folie de l’artiste est plus haute, elle est plus joyeuse. Elle lui permet de connaître la réalité commune, et, librement, de dresser au-dessus d’elle une réalité meilleure. Elle lui permet d’éprouver le plaisir de l’action suprême, la joie de se savoir, de se faire un « différent » !

M. Mallarmé, sans doute, connaît cette joie. Par-delà nos vaines agitations, calme et souriant, il assiste à sa création des fictions idéales. Il a construit si loin le temple de son art, qu’il l’a mis à l’abri de la Gloire elle-même. Il ne verra point ce que verraient aujourd’hui tant d’autres poètes : ses œuvres polluées par l’admiration avilissante des niais. Et il aura la joie entre toutes sainte et délicieuse : il verra toujours, dans la sérénité bienheureuse de son noble esprit, les railleries et les dédains des hommes pour son incompréhensible folie.