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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/139

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M. STÉPHANE MALLARMÉ

poésies de M. Mallarmé, je devine mieux et j’admire davantage les causes qui rendent ces poèmes parfois si obscurs. Si M. Mallarmé a cessé d’être clair, après l’avoir été dans les magnifiques poèmes de sa première manière, c’est qu’il a voulu employer la poésie à des fins plus hautes. Il a rêvé d’une poésie où seraient harmonieusement fondus les ordres les plus variés d’émotions et d’idées. À chacun de ses vers, pour ainsi dire, il s’est efforcé d’attacher plusieurs sens superposés. Chacun de ses vers, dans son intention, devait être à la fois une image plastique, l’expression d’une pensée, l’énoncé d’un sentiment, et un symbole philosophique ; il devait encore être une mélodie, et aussi un fragment de la mélodie totale du poème ; soumis avec cela aux règles de la prosodie la plus stricte : de manière à former un parfait ensemble, et comme la transfiguration artistique d’un état d’âme complet.

C’est la plus noble tentative qu’on ait faite jamais pour consacrer la poésie, pour lui assurer définitivement une fonction supérieure, au-dessus des insuffisances, des à-peu-près, des banalités de la prose. Et si maintes nuances nous échappent fatalement, entre tant de nuances diverses, nous percevons cependant la grandeur de l’ensemble. Un charme délicat nous pénètre, un subtil parfum, une légère coulée de sons doux et purs.

Telle est du moins l’impression que me causent ces poèmes, l’Après-midi d’un Faune, la Prose pour des Esseintes, le sonnet du Cygne. Et je suis persuadé que c’est une impression qu’ils causeront à toute àme un peu éprise de beauté, le jour où l’on