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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/141

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M. STÉPHANE MALLARMÉ

lui connaissons encore, que M. Whistler ne pouvait noter ! M. Mallarmé est un poète, le dernier poète. Impossible d’imaginer une étrangeté plus naturelle, plus exempte de pose et d’apprêt. Sa pensée naît spontanément toute ornée, élégante, subtile, singulière, comme il sied à la pensée d’un poète. Sa conversation est un jeu de mobiles imagés, un jeu discret et charmant, s’exerçant à l’aise sur les sujets les plus divers, sans rien perdre jamais de son artifice et de sa grâce poétiques.

Et sous tout cela une bienveillance infatigable, l’indulgence souriante d’un sage, et les plus admirables exemples de la dignité, de la noblesse d’âme. du désintéressement.

Voilà ce qu’enseigne M. Mallarmé aux jeunes poètes qui se pressent autour de lui. Mais on se tromperait à croire qu’il est aussi leur maître en poésie : il n’a point d’élève, il n’en veut pas avoir. La conception qu’il s’est faite de la poésie est trop haute, elle suppose un trop long effort pour que d’autres aient l’idée d’y consacrer leur vie, dans un temps où l’on ne se soucie plus guère de poésie, et où les efforts prolongés ne tentent plus personne. M. Mallarmé n’est pas l’initiateur d’une poésie nouvelle : il est le dernier représentant de l’ancienne poésie : il n’a fait que pousser à leurs conséquences extrêmes les principes admis avant lui par tous les grands poètes français depuis la Renaissance. Son art nous offre le charme étrange et délicieux de ces couchers de soleil qui teintent l’horizon de mille nuances légères, après le chaud éclat d’une journée d’automne.