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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/157

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VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

philosophies antérieures, et par la seule grâce d’une bienheureuse initiation naturelle, a dépassé les scolarités hégéliennes, comme toutes les pauvres métaphysiques modernes, pour descendre au fond dernier des réalités. Il a édifié une doctrine personnelle, sérieuse, décisive, et que, seul avant lui Platon, le prince des utopiques aristocraties. — Platon qui avait pressenti toutes choses, — avait pressentie.

L’esprit ne sort jamais de lui-même. L’univers que nous croyons réel est formé de nos idées, et nos idées sont la création de notre àme. Seule donc vit notre âme ; elle est tout le Réel : mais contrainte, pour se connaître, à s’épandre en de multiples et incessantes idées. Vivre, c’est créer des idées ; jouir, c’est se sentir les créant. Ce que nous appelons notre moi personnel, limité par un organisme, opposé au non-moi. — illusion ; et nous périssons par l’habitude funeste de la croire réelle. Nous nous sommes imaginé que certaines de nos idées étaient plus réelles que d’autres : nous nous sommes astreints à ne créer que celles-là. Et la joie naturelle des libres créations s’est pour nous perdue. Volontairement, nous avons limité notre àme : devenus maintenant esclaves et jouets d’illusoires désirs, au lieu de concevoir toutes choses, et notre personne, et le monde, comme les riantes filles éternelles de notre pensée.

N’est-ce point le prisonnier de Platon, projetant aux murs de sa caverne le reflet de lui-même, et condamné désormais à s’ignorer lui-même, tout à l’angoissante vision de ces fantômes qu’il croit