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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/200

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NOS MAÎTRES

Maintenant Albe est régie par la seule Raison. Une fabrique d’Albains a été fondée, où les Sages, à l’aide de merveilleux instruments chimiques, créent, suivant les besoins, des organes divers. La plupart des citoyens vivent la vie, parfaitement heureuse, des ignorants et des satisfaits. Ils font les œuvres manuelles, régulièrement ; ils ne connaissent point les écritures, les langues mortes, les morales civiques ; mais ils savent que Dieu les jugera, et qu’ils auront, suivant la tâche faite, une part proportionnelle du gâteau céleste.

Au dessus, d’autres hommes ont revêtu des costumes bariolés, et ils s’exercent heureusement aux luttes gymnastiques. Ceux-là ont pour unique joie la résistance aux bêtes cruelles, la défense du bonheur commun. Ils montrent fièrement leurs biceps gonflés.

Au dessus encore vivent, dans cet étrange pays idéal, les soldats de l’Impératif Catégorique. Ils sont heureux, n’ayant de besoin que l’obéissance à des ordres incompréhensibles, qu’on a, pendant leur fabrication, mis en eux.

Enfin, le dernier acte du drame nous fera voir la caste suprême des Artistes et des Sages. Ceux-là vivent dans l’ineff’able joie de la création consciente. Ils ont, à leur portée, toutes les satisfactions matérielles : des aliments exquis, des vêtements harmonieux, des odeurs ; et (la femme n’étant plus qu’un être de grâce et de beauté, non une honteuse machine de parturition), aux artistes seuls est donnée la vue des femmes ; languides et parfumées, elles se montrent, enchantant les yeux par leurs poses