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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/203

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RENAN ET TAINE

comme de belles maîtresses dans leurs cadres disjoints. Et les petites pendules Louis XVI ont beau avoir, depuis cent ans, leur sonnerie arrêtée : pour eux elles retrouvent des voix et se rappellent des chansons.

Et comme je demandais au plus sage d’entre ces sages, l’autre jour, à quelles causes singulières on pouvait attribuer l’engouement soudain des amateurs, et du public à leur suite, pour le style Empire, pour ces meubles si lourds et si emphatiques, pour ces pendules, ces flambeaux, surchargés d’ordres disparates, pour l’art le plus glacial et le moins intime qu’il y ait eu jamais :

« Hé ! me répondit mon ami, n’y voyez point malice ! Le public aime les meubles Empire comme ou aime les merles quand on n’a plus de grives ; et quand les amoureux s’aperçoivent que les belles femmes sont trop belles, ils en aiment de laides. Les beaux meubles anciens, les Louis XVI aussi bien que les Renaissance, ont disparu du marché : le peu qu’il en reste est trop cher, sans compter que les imitateurs sont devenus bien habiles, et les acheteurs bien ignorants. Tel qu’il est, le style Empire est au moins un style : il vaut toujours mieux que ce méchant petit style anglais qu’on est en train de vouloir lui opposer. Et on l’aime parce qu’on en trouve à acheter. Dans dix ans, quand on n’en trouvera plus, il faudra aimer autre chose. Mais j’ai bonne idée, voyez-vous, que dans dix ans il n’y aura plus personne pour rien aimer du tout. »

Les paroles de ce sage marchand me reviennent