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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/204

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NOS MAÎTRES

dans l’esprit, à chaque signe nouveau de l’engouement croissant du public, non plus seulement pour les meubles Empire, mais pour l’histoire et la personne de l’empereur Napoléon. Nous sommes tout à Napoléon, par le temps qui court ; mais il me semble qu’on aurait tort de chercher des causes trop subtiles à ce brusque retour de passion. Quelques-uns y ont vu l’effet de ténébreuses manœuvres du parti bonapartiste ; pour d’autres, c’est le vieil esprit césarien qui fermenterait dans les masses. Je crois plutôt qu’il en est de Napoléon comme du style Empire : nous l’aimons parce que nous avons besoin d’aimer quelqu’un, pour nous distraire, et parce que, sauf lui, il n’y a plus personne que nous puissions aimer. Nous avons essayé d’aimer les hommes de la Révolution : mais il nous a suffi de les voir d’un peu près poumons en fatiguer. Nous avons essayé d’aimer Jésus-Christ : mais il y fallait trop de sacrifices, nous avons renoncé. Maintenant nous aimons Napoléon Ier : celui-là au moins ne nous empêche pas de dormir à notre aise. S’il vivait, les plus ardents à l’aimer seraient les premiers à le détester ; mais il est mort, si complètement mort, que nous ne savons rien de lui, excepté son nom, les dates de son règne, et ce beau visage de fantaisie que lui ont attribué les peintres : car, au dire de Kotzebue, aucun de ses portraits ne lui ressemble, et sa seule image un peu fidèle est encore celle qu’il a fait graver sur ses premières pièces de cent sous. Nous ne savons rien de lui, il n’y a peut-être pas d’homme dans l’histoire dont la vraie figure soit plus mal connue. Dans chacun des nombreux