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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/266

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NOS MAÎTRES

Du moins on aurait une œuvre véritablement humaine, avec ce précieux caractère de réalité qui nous fait aimer, pour peu qu’ils soient simples et sincères, les plus médiocres souvenirs d’un vieux soldat illettré. Cette réalité n*est guère plus réelle, probablement, que celle que crée poumons le génie des poètes ; mais, enfin, nous avons l’habitude de la supposer telle. Nous la voyons plus proche, et nous la croyons plus sérieuse. Les souffrances morales d’Eugène Delacroix, par exemple, ne peuvent manquer de nous émouvoir davantage que celles de Coriolis ou de Claude Lantier : et cela simplement parce que, à tort ou à raison, nous les jugeons plus réelles. Sans compter la part d’émotion que contient d’avance pour nous le seul nom d’un grand homme, ou la seule idée d’une grande époque. Est-ce que la présence, dans un récit, de Napoléon ou de Beethoven n’aurait point pour effet immédiat d’en rehausser l’intérêt, si nous pouvions être assurés que l’auteur ne l’a pas inventée pour nous intéresser à des fables ?

Les hommes ont beau faire, il y a toujours dans la nature quelque chose de plus que dans leur pensée. Le lait de la plus maigre des vaches, dans les champs, est tout de même plus parfait que celui que fabriquent, dans leurs laboratoires, les chimistes les mieux renseignés. Ainsi il en est pour nos actions et nos sentiments. Le seul fait qu’ils existent suffit à leur donner un air de vérité que ne leur donnerait pas le génie le plus inventif. Mais encore faut-il qu’on sache nous les mettre en valeur ; et c’est ce dont la plupart des biographes