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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/265

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QUESTIONS D’ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE

dis qu’il y suffirait d’un peu de goût, de confiance en soi, d’imagination, et de style.

C’est pour avoir employé à l’histoire son étonnant génie de poète et de romancier que Michelet se dresse aujourd’hui si haut, sur notre siècle. De jour en jour il s’écarte davantage de ses anciens confrères, les Guizot, les Mignet, tous les historiens : sa vraie place est ailleurs, il n’a plus désormais de confrères que les Balzac, les Dickens et les Victor Hugo, ceux qui, avec des mots, ont su créer de la vie. On me dit que le public a cessé de le lire : mais est-ce que ceux-là même qui ne le lisent plus ne sentent pas tous les jours son nom leur devenir plus cher ? Et si les historiens lui reprochent de n’avoir pas connu tous les documents qu’il aurait pu connaître, je suis prêt à le lui reprocher avec eux, malgré que je n’aie pas une confiance aussi absolue dans l’efficacité des documents pour la conquête de la vérité historique, ni même dans l’existence de cette vérité. Mais peut-être Michelet a-t-il choisi un sujet trop vaste : lui seul, en tout cas, était de taille à pouvoir tenter la biographie d’un grand peuple.

Le roman biographique dont je rêve aurait des prétentions plus modestes. Je voudrais qu’on prit n’importe quelle vie, présente ou passée, qu’on s’efforçât d’en connaître tous les faits, et qu’ensuite on la revécût, comme on revit les épisodes d’un roman, en suppléant par l’imagination à ce que les faits ne sauraient donner. On aurait ainsi quelque chose comme un roman historique ; mais le nom. après tout, n’a rien de si effrayant.