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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/322

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NOS MAÎTRES

même plan que Guilliver et tous ces beaux livres anciens dont il est la suite. J’ai mentionné plus haut les portraits du médecin Charmide et du chirurgien Dabaisse : il y a une trentaine de portraits qui valent ces deux-là, dessinés avec une précision, une sûreté remarquables. Je sais que le mérite en revient en partie au genre : car il est facile de mettre en relief des personnages qu’on isole de leur milieu ordinaire, et dont on grossit librement les traits. Mais encore fallait-il observer ces traits, les comprendre, leur garder dans la peinture leurs vraies proportions. Et puis, en outre des portraits, M. Daudet nous a offert toute sorte de spectacles tragiques ou burlesques, y employant un art très ingénieux, très varié, et tout à fait personnel. Il nous a décrit en particulier quelques scènes de mort, la mort d’un interne tué par le croup, la mort d’un misérable enfant torturé dans un hôpital, des scènes d’une émotion simple et profonde qui, bien par-delà Swift, m’ont rappelé Dickens.


Mais j’aime surtout ce livre pour l’idée morale qui l’anime, encore une de ces vieilles idées qui, aujourd’hui, nous paraissent nouvelles, tant on a mis de soin à nous les faire oublier. Ce n’est pas aux médecins ni à la médecine que s’en prend M. Daudet, mais à cette manie scientifique qui, depuis cent ans, a envahi le monde et qui n’y a rien amené, en fin de compte, sinon le doute, l’inquiétude, la souffrance et l’ennui. Je me reproche