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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/341

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LA RELIGION DE L’AMOUR ET DE LA BEAUTÉ

maîtres d’étude, qui, durant tant d’années, avec une obstination que surpassait la mienne, vous êtes acharnés à me confisquer les œuvres de Victor Hugo, de Baudelaire, de M. Verlaine ! Il me semblait que le temps me pressait, et qu’au sortir du collège j’allais être trop vieux, tout d’un coup, pour pouvoir m’approcher désormais de la source enchantée.

Au sortir du collège, c’est aux poètes encore que j’ai livré tout mon cœur. J’avais vingt ans, c’était 1 âge de la poésie. Je me promenais dans les allées du Luxembourg en récitant des vers : je les récitais aussi à mes voisins de table d’hôte, à mes amis, aux jeunes filles qui avaient daigné me sourire. Bientôt les poètes français né me suffirent plus : mon àme en réclama d’étrangers, et je lui en offris de toutes les provenances. Ce fut le temps où je m’exaltai sur Rosetti, sur Lenau, sur un poète chinois dont on m’avait promis de me traduire des passages. Et bientôt cela même ne me suffit plus ; j’eus alors l’impression que la poésie était encore à naître, que la rime, le rythme, toutes ces choses méritaient de servir à un art nouveau. De cet art j’énonçai les règles : je me constituai le législateur d’un Parnasse si escarpé et si haut perché dans les nuages, que personne, fort heureusement, n’eut la tentation d’y grimper pour se soumettre à mes lois.

Et un jour vint enfin où je m’aperçus avec épouvante que tous mes efforts avaient été vains. Je vis que je m’étais exalté sur les poètes et la poésie, mais qu’en réalité je ne les avais pas aimés.