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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/360

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NOS MAÎTRES

naire, d’esprit médiocre et de sentiments ingénus. Mais comme ils vivent, ces petits êtres, et avec quelle fiévreuse intensité, au moment venu, la passion brusquement s’allume dans leurs cœurs ! Leur simplicité même nous les rend proches ; elle nous fait paraître plus profonde et plus touchante cette force de passion qui se découvre en eux.

Je sais peu de récits plus tragiques, d’une émotion plus forte, que l’histoire de la douleur d’amour de Domnine, de sa vengeance et de sa mort. Il y a là vraiment un art supérieur, discret et sûr, d’une aisance merveilleuse, avec un incessant mélange d’observation et de poésie.

C’est un art tout méridional, celui-là même qui nous rend à jamais si aimable le génie des auteurs latins. Il est fait d’ordre, et de mesure, et de clarté, et de simplicité, ennemi avant toutes choses de l’exagération, évitant l’excès dans la forme et dans la pensée. Les personnages de Domnine, en vérité, ne pensent pas, ce qui leur permet de garder intacte la fraîcheur de leurs âmes naïvement passionnées. Et l’on sent bien que M. Paul Arène ne pense gère non plus : je veux dire qu’il ne s’embarrasse ni des causes ni de la substance, mais seulement de voir, de sentir, et de bien écrire. Il écrit dailleurs admirablement, mettant à son style la même élégance discrète, la même précision et la même lumière qui distinguent sa façon de sentir et de voir. Il n’est proprement ni un peintre, ni un poète, ni un dramaturge, ni un styliste : mais il est mieux que tout cela, un parfait conteur.

Et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il l’est devenu.