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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/44

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NOS MAÎTRES

très nombreuses et très vagues, se désagrègent, s’affinent, se multiplient. La vie apparaît sans cesse composée d’éléments plus subtils. Les ressemblances des sensations décroissent ; les différences sont mieux perçues, à mesure que les sensations se répètent. Bientôt les termes généraux « un mariage, une lutte », ne suffisent plus à recréer la vie ; l’âme requiert des notions plus précises. Ainsi l’art restitue, par degrés, une vie de notions plus détaillée : il prend un sujet total sans cesse plus restreint, afin d’en tirer des éléments plus nombreux. Et l’analyse des idées et des faits se complique, tandis que se complique dans l’esprit le nombre même des idées et des faits.

2o Dans le même temps, la reproduction de certains phénomènes naturels suivant un ordre fixe, détermine les âmes à concevoir cet ordre comme nécessaire, et modifie à nouveau leur perception des choses. Naît ainsi un sens du possible et du réel, à travers lequel, désormais, devra être créée toute vie. Par une illusion qu’il subit après se l’être à lui-même imposée, l’homme en vient à voir l’univers comme régi par des lois constantes ; et les faits deviennent inconcevables s’ils n’obéissent à ces lois. Et l’art, qui recrée dans une vie supérieure les éléments de la vie habituelle, perd ainsi le pouvoir de faire vivre pour nous des faits surnaturels [1].

  1. Les légendes et les mythes peuvent reparaître dans un art plus parfait, mais pour y acquérir une valeur de symboles, et afin de recréer — faute d"un moyen plus direct — tels modes très subtils de la vie mentale.