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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/69

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L’ART WAGNÉRIEN

amoureux. L’âme du rêveur perçoit le jeu mobile des lumières, les bruits des paroles, là-bas, et les mares éclatantes — cerclées étrangement d’une verdure sombre — les mares de blancheur étalées au sol par le jet des lumières électriques. Et. comme il n’a point l’esprit occupé à d’autres pensées, le rêveur se rappelle d’enfantines journées évanouies. Maints hasards de sa vie, qui jadis lui avaient paru indifférents, il les revoit, et leur suite logique. Mais bientôt les souvenirs affluent, ils se mêlent et affluent ; c’est des tronçons de faits anciens, des visions ténues et innombrables : comme la secousse joyeuse d’un large flot qui s’élève, et qui l’envahit. Les sensations, tout à l’heure perçues nettement, se joignent à cette marée tumultueuse d’idées. Il éprouve un bonheur fiévreux, comme un rapide grandissement de soi, dans cette vie évoquée, et qu’il revit. Alors le rythme de ses images s’accélère ; elles tournoient maintenant, tournoient sans arrêt devant lui : une allégresse montante, haletante, éperdue. Puis, sous une réflexion soudaine, le beau rêve est changé ; ces âges délicieux, oui, ils sont lointains, désormais finis ! Par degrés, les sensations et les notions se décolorent ; la création des images s’apaise ; un voile couvre la folle danse, ralentie. Le rêveur perçoit mieux les bruits du parc : il les perçoit imprégnés d’une méchante tristesse. Il souffre, et voici que sont dissipés et fuient les derniers tourbillons des souvenirs. Un vide cruel dans l’âme. Et voici revenus les raisonnements habituels : le rêveur regarde, réfléchit ; son émotion a disparu.