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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/70

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NOS MAÎTRES

L’émotion est ainsi un état très instable et très rare de l’esprit ; elle est un rapide afflux d’images, de notions, un afflux si dense et si vif, que l’âme n’en peut discerner les éléments, toute à sentir l’impression totale. Parfois l’émotion escorte un raisonnement, ou quelques paroles prononcées ; alors elle est un accompagnement sonore et continu à de très poignantes idées. Parfois elle envahit tout l’être, et les paroles cessent, comme les notions ; la joie ou l’angoisse étreignent l’âme : c’est la triomphante extase de passion, l’extase fougueuse et brève, que les amants connaissent aux rares minutes de l’amour.

Traduire l’émotion par des mots précis était évidemment impossible ; c’était décomposer l’émotion, donc la détruire. L’émotion, moins encore que les autres modes vitaux, peut être traduite directement ; elle peut seulement nous être suggérée. Et, pour suggérer les émotions, mode subtil et dernier de la vie, un signe spécial a été inventé : le son musical.


Par quel mystérieux enchaînement de circonstances historiques fut acquis aux sons le pouvoir d’évoquer les profondes émotions de notre âme ? Non point, certes, par une prédestination naturelle. Les sons n’ont pu davantage, à l’origine, signifier les douleurs ou les joies, que les mots n’ont pu signifier les notions qui leur correspondent. Aussi l’histoire de la musique nous montre-t-elle la formation continuelle de nouveaux langages musicaux. À chaque peuple les mêmes émotions sont