Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/123

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entraîne à une haine réciproque, où trouver des amis ? chez quels hommes rencontrer la bienveillance et la fidélité ? — Il y a dans tout cela, Critobule, reprit Socrate, diverses manières d’envisager les faits : naturellement les hommes ont le sentiment de l’amitié ; ils ont besoin les uns des autres, se laissent aller à la pitié, se donnent mutuellement des secours ; ils le comprennent et en sont reconnaissants ; mais ils ont aussi le sentiment de l’inimitié. Quand leurs idées sur les biens et les plaisirs sont les mêmes, ils luttent pour y atteindre ; quand ils sont divisés d’opinions, ils se combattent entre eux : la guerre naît de la dispute et de la colère, la malveillance des désirs ambitieux, la haine de la jalousie. Et cependant l’amitié se glisse à travers tous les obstacles pour unir les cœurs vertueux : c’est que, grâce à la vertu, ils aiment mieux posséder sans agitation une fortune modérée, que de dominer sur tout par la guerre ; ils peuvent, quand ils ont faim ou soif, partager entre eux sans peine les aliments et la boisson ; quand ils sont épris d’un bel objet, se résister à eux-mêmes, pour ne pas affliger ceux qu’ils doivent respecter ; ils ne prennent des richesses que leur part légitime, sans aucune idée de cupidité, et de plus ils s’aident les uns les autres ; ils savent terminer leurs différends, non-seulement sans se causer de peine, mais encore à leur mutuel avantage, et empêcher la colère de s’emporter jusqu’au repentir ; enfin ils ôtent tout prétexte à l’envie, en partageant leurs richesses avec leurs amis, et en regardant les biens de leurs amis comme leurs biens propres. N’est-il donc pas naturel que les hommes vertueux, lorsqu’ils arrivent aux charges de l’État, loin de se nuire, se rendent de mutuels services ? Car pour ceux qui désirent les honneurs et l’autorité dans leur patrie, afin d’avoir toute licence de piller les fonds publics, de faire violence aux citoyens et de vivre dans la mollesse, ce sont des cœurs injustes, pervers, incapables d’aucun attachement. Mais l’homme qui recherche les honneurs afin de se mettre lui-même à l’abri de toute injustice et de prêter à ses amis un appui légitime ; qui, devenu magistrat, s’efforce d’être utile à sa patrie, est-il donc incapable de s’entendre avec un autre citoyen vertueux comme lui ? Lui sera-t-il moins facile, entouré d’hommes vertueux, de servir ses amis ? Sera-t-il moins puissant pour faire du bien à sa patrie, quand il sera soutenu par les honnêtes citoyens ?

« Il est évident que dans les combats gymniques, s’il était