Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/128

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crois-tu donc les plus estimables, des gens libres qui sont chez toi, ou des esclaves qui sont chez Céramon ? — Mais je pense que ce sont les gens libres qui sont chez moi. — N’est-il donc pas honteux que Céramon vive dans l’abondance avec des hommes de rien, tandis que toi, qui as des personnes beaucoup plus estimables, tu es dans le dénûment ? — Non, par Jupiter ; car il nourrit des artisans, et moi des personnes qui ont reçu une éducation libérale. — Les artisans ne sont-ils donc pas ceux qui ont appris à faire quelque chose d’utile ? — Assurément. — La farine n’est-elle pas chose utile ? — Tout à fait. — Et le pain ? — Tout autant. — Eh bien ! et les vêtements d’hommes et de femmes, les tuniques, les chlamydes[1], les exomides[2] ? — Tout cela est fort utile. — Et les personnes qui sont chez toi ne savent rien faire de tout cela ? — Au contraire, elles savent tout faire, je crois. — Eh bien ! ne vois-tu donc pas qu’en exerçant une de ces industries, en faisant de la farine, Nausicydès[3] ne se nourrit pas seulement, lui et ses esclaves, mais un grand nombre de porcs et de bœufs, et qu’il met assez de côté pour s’acquitter souvent des prestations publiques[4] ? En faisant du pain Cyrénus[5] nourrit toute sa maison et vit largement ; Déméas de Colytte[6], en faisant des chlamydes, Ménon des chlanides[7], la plupart des Mégariens des exomides, trouvent de quoi se nourrir. — Oui, par Jupiter ; mais tous ces gens-là achètent des esclaves barbares qu’ils forcent de travailler à leur guise[8], tandis que moi j’ai affaire

  1. La chlamyde était un manteau épais porté surtout par les cavaliers : il s’attachait sur l’épaule droite avec une agrafe ou une boucle, et tombait sur les cuisses en formant deux pointes.
  2. L’exomide était un vêtement court, une sorte de blouse sans manches, que portaient les esclaves, les pauvres, les artisans et les citoyens amis d’une très-grande simplicité.
  3. On ne sait rien de plus sur ce personnage, sinon qu’Aristophane le nomme aussi au vers 426 de l’Assemblée des femmes.
  4. C’est ce qu’on nommait liturgies. Il y en avait de plusieurs espèces : l'estiasis, repas donné à la tribu les jours de fête ; la chorègie, entretien et direction d’un chœur dramatique ; la gymnasiarchie, relative aux jeux sacrés et aux exercices préparatoires à ces jeux dans les gymnases ; la triérarchie, qui consistait à équiper une galère ; la proïsphorie, avance de l’impôt sur les biens. Cf. Boeck, Économie politique des Athéniens, III, 21-23 ; IV, 9 et 12, et la préface placée par Wolf en tête de la Leptinienne de Démosthènes.
  5. D’autres lisent Ciribus, Corébus, Cyrébion et Cyrébius.
  6. Colytte était un bourg de l’Attique, de la tribu Égéide. Cf. Lucien, Timon, 49 et 50, t.1, p. 46 et 47 de notre traduction.
  7. La chlanide était une sorte de manteau du genre de la chlamyde, mais plus léger et plus élégant.
  8. Je supprime la virgule placée dans quelques textes après ἐργάζεσθαι.