Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/164

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animées ? — Justement. — Ainsi, comme nos différentes attitudes font jouer en haut ou en bas certains muscles du corps, que les uns se resserrent ou s’étirent, se tendent ou se relâchent, est-ce en exprimant ces effets que tu donnes à tes œuvres plus de ressemblance et de vérité ? — Précisément. — Mais cette expression même d’une action corporelle ne procure-t-elle pas un certain plaisir aux spectateurs ? — Je le pense. — Il faut, par conséquent, que les yeux des combattants expriment la menace, et que la joie se lise sur la physionomie des vainqueurs ? — Sans nul doute. — Il faut donc aussi que le statuaire exprime par les formes toutes les impressions de l’âme. »

Un jour Socrate entra chez l’armurier Pistias[1], qui lui montra des cuirasses très-bien faites : « Par Junon ! dit-il, voilà, Pistias, une belle invention ! Cette cuirasse peut protéger les parties qui ont besoin d’être couvertes, et elle n’empêche pas de se servir des mains. Mais alors, dis-moi, Pistias, pourquoi, tes cuirasses n’étant ni plus solides ni plus coûteuses pour toi que celles des autres fabricants, tu les vends beaucoup plus cher. — C’est, Socrate, parce que les miennes sont mieux proportionnées. — Mais cette proportion, est-ce d’après la mesure ou la balance que tu la fais payer plus cher ? car je pense que tu ne les fais pas toutes d’une égalité ni d’une ressemblance parfaite, si tu veux qu’elles aillent bien[2]. — Par Jupiter ! je les fais pour cela ; autrement, elles ne pourraient servir. — Mais n’y a-t-il pas chez les hommes des corps bien proportionnés et d’autres qui ne le sont pas ? — Évidemment. — Alors, comment fais-tu donc pour qu’une cuirasse bien proportionnée aille à un corps qui ne l’est pas ? — Je tâche qu’elle aille bien ; car, du moment qu’elle va bien, elle est bien proportionnée. — Tu me parais, reprit Socrate, ne pas entendre le mot proportionné dans un sens absolu, mais relativement à l’usage de l’objet, comme si tu disais d’un bouclier qu’il est bien proportionné, du moment qu’il convient à celui qui s’en sert ; et tu pourrais en dire autant d’une chlamyde ou de tout autre objet. Mais peut-être y a-t-il dans cette convenance un autre avantage qui n’est pas à dédaigner. — Ap-

  1. Il n’est question de lui que dans ce passage. — Cf. Émeric David, Hist. de la peinture au moyen âge, p. 248, 74 et passim. Personne n’a mieux connu l’antiquité plastique que ce judicieux et savant écrivain.
  2. Il y a ici quelque embarras dans le texte : j’ai suivi de préférence les indications de Weiske.