Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/168

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moins, et ensuite les payer d’un juste retour : ils vous en aimeraient encore davantage, vous demeureraient plus longtemps attachés, et vous feraient de plus grandes largesses. Or, votre gratitude sera parfaite, si, dans leurs besoins, vous consentez à partager avec eux. Vous voyez que les mets les plus délicieux, servis à une personne sans appétit, paraissent désagréables et inspirent du dégoûta des convives rassasiés, tandis que les mets les plus simples, servis à une personne affamée, lui semblent délicieux. — Mais comment puis-je exciter l’appétit de ceux qui me visitent ? — Par Jupiter ! continua Socrate, en ne leur offrant plus rien quand ils sont rassasiés, en ne les rappelant point au repas avant que la digestion accomplie ait ravivé le besoin ; puis, le besoin venu, en leur faisant entendre que votre charmant entretien, votre venue est une faveur toute volontaire, et parfois même en les fuyant, pour que leur besoin devienne extrême. Les faveurs, en effet, perdent beaucoup de leur prix, quand elles précèdent le désir. » Alors Théodote : « Eh bien, Socrate, dit-elle, que ne m’aidez-vous à faire la chasse des amis ? — Par Jupiter ! je le veux bien, si vous m’y décidez. — Et le moyen de vous décider ? — Vous le chercherez et vous vous en aviserez, si vous avez besoin de moi. — Venez donc souvent me voir. » Socrate alors plaisantant sur ses occupations ; « Théodote, lui dit-il, il ne m’est pas facile d’en trouver le temps : mes nombreuses affaires, privées ou publiques, ne me laissant aucun répit ; et puis, j’ai des maîtresses qui ne me laissent aller ni le jour ni la nuit, grâce aux philtres et aux charmes que je leur ai enseignés. — Quoi ! Socrate, vous savez composer des philtres ? — Eh ! comment croyez-vous qu’Apollodore et Antisthène ne me quittent jamais ? Comment croyez-vous que Cébès et Simmias m’arrivent de Thèbes ? Sachez bien que cela ne peut se faire sans philtres, sans enchantements, sans bergeronnettes[1]. — Prêtez-moi donc une bergeronnette, pour que je commence à vous attirer. — Mais, par Jupiter ! je ne veux pas être attiré près de vous, je veux que vous veniez près de moi. — Alors j’irai, mais vous me recevrez. — Oui, je vous recevrai, s’il n’y a chez moi personne que j’aime plus que vous. »

  1. On employait cet oiseau, dont les mouvements sont vifs et animés, à des pratiques qu’on croyait propres à exciter l’amour. Selon Tzetzès, les magiciennes attachaient la bergeronnette à une roue qu’elles faisaient tourner avec une très-grande rapidité et en chantant des chansons érotiques.