Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/177

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prendre des autres ; et voici sans doute comment il débutera : « Jamais, Athéniens, je n’ai rien appris de personne ; jamais, quand j’entendais parler d’hommes aussi habiles dans les discours que dans les actions, je ne recherchais leur société ; je n’ai point eu souci de prendre un maître parmi les citoyens éclairés ; au contraire, j’ai toujours évité avec le plus grand soin non-seulement de recevoir des leçons, mais même de le paraître : néanmoins, je vais vous donner le conseil qui me viendra spontanément à l’esprit. » Un exorde de ce genre conviendrait aussi parfaitement à un homme qui voudrait obtenir l’emploi de médecin public[1] : il n’aurait, pour réussir, qu’à débuter de cette manière : « Personne, Athéniens, ne m’a enseigné la médecine ; je n’ai jamais recherché les leçons d’aucun de nos médecins ; et non-seulement je me suis bien « gardé de rien apprendre d’eux, mais je n’ai pas voulu paraître « avoir étudié cette profession : cependant confiez-moi l’emploi de médecin ; j’essayerai de m’instruire en faisant sur vous des essais[2]. » Tous les assistants se mirent à rire de l’exorde. On vit bientôt Euthydème faire attention aux discours de Socrate, mais il s’abstenait encore de parler lui-même, pensant que son silence passerait pour de la modestie. Socrate alors voulant lui faire perdre cette idée : « Il est bien étonnant, dit-il, que ceux qui veulent jouer de la cithare ou de la flûte, monter à cheval ou acquérir quelque autre talent semblable, cherchent à en devenir capables en faisant d’une manière continue ce qu’ils veulent pratiquer, et en prenant pour juges de leurs efforts non pas eux-mêmes, mais les meilleurs maîtres, qu’ils fassent et endurent tout[3] pour ne rien faire contre leur but, comme s’ils ne pouvaient se rendre habiles par d’autres moyens ; tandis que ceux qui se proposent d’être bons orateurs et bons politiques pensent pouvoir, d’eux-mêmes et sur-le-champ, sans préparation et sans exercice, devenir des hommes habiles. Cependant ce but semble beaucoup plus difficile à atteindre que le premier, si bien que beaucoup y as-

  1. Ils étaient nommés par le peuple et devaient soigner gratuitement lus citoyens pauvres.
  2. Avant les plaisanteries de Molière, Pline l’Ancien a dit des médecins : Discunt periculis nostris, et experimenta per mortes agunt.
  3. C’est ce que dit Horace de celui qui veut obtenir un prix dans les jeux gymniques ou hippiques : Art poét., v. 412, 413.

    Qui studet optatam cursu contingere metam
    Multa tulit fecitque puer, sudavit et alsit, etc.