Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/264

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« Un point essentiel[1], dit encore Ischomachus, pour le bon ou le mauvais succès en agriculture, c’est que parmi ceux qui occupent des travailleurs, et en grand nombre, les uns veillent avec soin à ce que les ouvriers emploient bien leur temps à leur ouvrage, tandis que les autres n’y veillent pas. Or, il y a la différence de un à dix entre deux hommes, dont l’un emploie bien son temps, et dont l’autre quitte l’ouvrage avant l’heure. Permettre à ses hommes de paresser tout le jour, fait une différence de moitié sur la totalité de l’ouvrage. Dans une route de deux cents stades, souvent deux hommes laissent entre eux pour la vitesse une distance de cent stades, quoique également jeunes et robustes, parce que l’un des marcheurs ne perd pas de vue le but où il tend, au lieu que l’autre prend ses aises, se repose auprès des fontaines et sous les ombrages, et s’amuse à regarder, ou à chercher la fraîcheur des brises. De même, en ce qui touche à l’ouvrage, il y a une grande différence entre les hommes qui exécutent ponctuellement ce qu’on leur commande, et ceux qui, loin de l’exécuter, trouvent des prétextes pour ne point agir ou s’abandonner à la paresse. Entre bien travailler et négliger il y a certainement toute la différence qui existe entre travailler sans interruption et rester complétement oisif. Quand j’ai des bêcheurs pour débarrasser ma vigne des mauvaises herbes, et qu’ils bêchent de manière à laisser l’herbe devenir plus épaisse et plus belle, comment ne pas dire qu’il n’y a rien eu de fait ? Voilà ce qui ruine une maison bien plus qu’une excessive ignorance. En effet, quand tous les frais sont prélevés sur le bien même, et que les travaux ne sont pas conduits de manière à couvrir la dépense, on ne doit pas s’étonner de voir à l’aisance succéder la misère.

« Il y a pour les cultivateurs soigneux et rangés un moyen infaillible de faire fortune dans l’agriculture ; mon père le pratiquait et me l’a transmis. Jamais il ne permettait d’acheter un champ bien cultivé ; mais y avait-il quelque terre stérile et non plantée, par la négligence ou la gêne des propriétaires, c’était celle-là qu’il conseillait d’acheter. Il disait qu’une terre bien cultivée coûtait beaucoup d’argent, sans être susceptible d’amélioration ; et il pensait que cette amélioration impossible enlevait tout plaisir à l’acquéreur, vu que, selon lui, toute possession ou tout bétail qui va s’améliorant est une véritable

  1. Voy. la traduction de ce passage par Cicéron dans Columelle, XI, i.