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CHAPITRE XXI.


Suite du précédent et conclusion de tout l’ouvrage.


« Mais j’y songe, Ischomachus, comme tout ce discours vient à l’appui de ton sujet ! Tu avais pris pour texte que l’agriculture est de tous les arts le plus facile à apprendre ; et maintenant, d’après tout ce que tu viens de dire, j’en suis parfaitement convaincu. — Par Jupiter, reprit Ischomachus, j’en suis d’avis. Quant au talent de commander, Socrate, talent nécessaire en agriculture, en politique, en économie, à la tête des armées, je conviens avec toi qu’il y a parmi les hommes une grande différence sous le rapport de l’intelligence. Ainsi, quand on vogue sur une galère, et qu’il s’agit de fournir à la rame des traites d’un jour, tels céleustes[1] savent dire et faire ce qu’il faut pour stimuler les esprits et faire travailler les hommes ; d’autres sont tellement incapables qu’ils emploient au même trajet le double des journées ; et, d’une part on débarque, couverts de sueur, mais se félicitant les uns las autres, chefs de manœuvre et rameurs ; de l’autre, on arrive sans sueur, mais détestant le chef qui déteste l’équipage. Les généraux diffèrent de même les uns des autres. Les uns produisent des soldats qui ne veulent point affronter une fatigue, qui ne daignent point obéir et s’y refusent tant qu’il n’y a pas absolue nécessité, mais qui vont jusqu’à se faire honneur de leur résistance à leur chef ; incapables de rougir d’un échec déshonorant. Mais que des chefs favorisés du ciel, pleins de valeur et d’habileté, prennent ces mêmes hommes, et d’autres avec eux, ils les rendront honteux de la moindre lâcheté, convaincus qu’il est mieux d’obéir, fiers de leur soumission individuelle et collective, prêts à la fatigue quand il le faut, et l’endurant de bon cœur. On voit parmi les simples particuliers des hommes naturellement portés au travail ; ici c’est une armée tout entière, qui, guidée par de bons chefs, se laisse ravir à l’amour du travail et de la gloire, et est fière d’un bel exploit accompli sous l’œil du général. D’ailleurs, sous quelques chefs que se rangent de pareils hommes, ces chefs ne peuvent manquer de

  1. Chefs des matelots et des rameurs.