Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/323

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quand je souhaitais le repos ; je passais mon temps dans les festins, jusqu’à oublier tous les chagrins de la vie humaine, jusqu’à laisser fondre mon âme dans les chants, les joyeux propos les danses, aussi longtemps et aussi loin que je le souhaitais, ainsi que mes amis. Maintenant, je suis privé de ces douceurs, depuis que j’ai des esclaves au lieu d’amis intimes ; je suis privé de la douceur de leurs entretiens, en ne voyant en eux aucune affection pour moi : je me garde de l’ivresse et du sommeil comme d’un piége. Or, craindre la foule, craindre la solitude, craindre l’absence de gardes et craindre ces gardes mêmes, ne vouloir pas qu’ils soient sans armes et redouter de les voir armés, quelle déplorable situation ! De plus, se fier à des étrangers plutôt qu’à des citoyens, à des barbares plutôt qu’à des Grecs, souhaiter d’avoir des hommes libres pour esclaves, être forcé de rendre des esclaves libres, tout cela ne te semble-t-il pas les indices d’une âme frappée de terreur ? Et cette terreur ne répand pas seulement la tristesse dans les âmes, mais, en se mêlant à tous les plaisirs, elle en corrompt la saveur. Si jamais tu as été en guerre, Simonide, si tu as campé près d’une phalange ennemie, rappelle-toi quels repas tu as faits en ce moment-là, de quel sommeil tu as dormi : eh bien, l’inquiétude que tu as éprouvée, telle est, et plus terrible encore, celle des tyrans ; ce n’est pas seulement en face, c’est de toutes parts que les tyrans croient voir des ennemis. »

En entendant ces mots, Simonide reprit : « Il y a de l’exagération dans quelques-unes de tes paroles : la guerre est, il est vrai, une chose redoutable ; cependant, Hiéron, quand nous sommes en campagne, nous autres particuliers, et qu’on a établi les avant-postes, nous mangeons, et nous dormons tranquilles. » Alors Hiéron : « Oui, Simonide, dit-il ; car les lois surveillent les sentinelles, ce qui fait qu’ils craignent pour eux comme pour vous ; mais les tyrans ont des sentinelles à gages comme des aoûterons. Et, bien qu’on emploie tous les moyens pour rendre ces gardes fidèles, il est beaucoup plus difficile de compter sur la fidélité d’un seul que sur celle d’un grand nombre d’ouvriers, quelle que soit leur profession ; surtout, parce que de tels gardes ne faisant leur service que pour de l’argent, ils peuvent, en peu de temps, en recevoir beaucoup plus pour tuer le tyran qu’ils n’en reçoivent pour de longs services. Quant à la faculté que tu nous envies, de pouvoir mieux que personne faire du bien à nos amis et séduire nos ennemis, il n’en va point de la sorte. Comment crois-tu donc que l’on peut