Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/463

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

uns et rappeler aux autres que l’aile droite des assaillants se compose des troupes que vous avez mises en déroute et poursuivies il y a cinq jours. Quant à l’extrémité de l’aile gauche, elle renferme ces Trente qui, malgré notre innocence, nous ont privés de notre patrie, chassés de nos demeures, et qui ont proscrit nos amis les plus chers. Ils se trouvent aujourd’hui dans une situation qu’ils n’avaient point prévue, mais que nous avons toujours désirée. Nous avons des armes et nous leur faisons face. Et les dieux, qui les ont vus se saisir de nous pendant nos repas, pendant notre sommeil, sur l’agora, et non-seulement sans que nous leur ayons fait le moindre tort, mais sans que notre séjour ait motivé notre exil, les dieux combattront pour nous. Dans le calme, ils font la tempête, afin de nous être utiles, et quand nous l’essayons, ils accordent à notre petit nombre d’élever le trophée d’une victoire sur de nombreux ennemis : aujourd’hui, ils nous ont amenés sur un terrain où nos adversaires, forcés de monter, ne peuvent nous envoyer ni javelots ni flèches, tandis que nous-mêmes, en lançant du haut en bas des piques, des javelots et des pierres, nous sommes sûrs de les atteindre et d’en blesser un grand nombre. Et que personne ne croie que les premiers rangs du moins combattront à égal avantage. En ce moment même, si vous lancez vos traits avec cœur comme il convient, personne de vous ne manquera un des hommes dont la route est pleine, et qui seront forcés, pour se garantir, de se couvrir toujours de leurs boucliers, en sorte que nous pourrons frapper à notre gré comme sur des aveugles, et les disperser en les chargeant. Oui, soldats, il faut que chacun de vous se batte aujourd’hui de manière à se rendre le témoignage d’avoir pris une large part à la victoire. Or, cette victoire, si Dieu le veut, doit nous rendre patrie, foyers, liberté, honneurs, femmes et enfants, à ceux qui en ont. Oh ! bienheureux ceux d’entre vous qui, après la victoire verront ce jour fortuné ! heureux aussi ceux qui mourront ! jamais riche n’obtiendra un plus glorieux tombeau. J’entonnerai le péan quand il en sera temps, puis nous invoquerons Ényalius[1], et alors tous, d’un commun accord, nous nous élancerons pour aller punir les hommes qui nous ont insultés. »

Cela dit, il se tourne du côté des ennemis, et il attend. Le devin, en effet, leur avait recommandé de ne pas attaquer avant

  1. Surnom de Mars.