Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

partie, tu nous as quittés. » En même temps il prend la main du mort, mais cette main reste dans la sienne ; un Égyptien l’avait coupée d’un coup de hache. À cette vue Cyrus sent redoubler sa douleur. Panthéa jette des cris lamentables, reprend cette main à Cyrus, la baise et essaye de la rejoindre au bras : « Ah ! Cyrus, s’écrie-t-elle, voilà comme il est tout entier ! Mais à quoi te sert de le regretter ? C’est à cause de moi, Cyrus, qu’il en est venu là, et peut-être aussi à cause de toi ! Insensée ! je l’engageais continuellement à se montrer, par ses actions, digne de ton amitié : et lui, il ne songeait point au sort qui l’attendait, mais aux moyens de te servir. Et cependant il est mort sans reproche : et moi, qui lui donnais ces conseils, je vis et je suis assise près de lui. »

« Durant tout ce temps, Cyrus fond en larmes sans prononcer une seule parole ; mais enfin rompant le silence : « Oui, femme, il a eu la fin la plus glorieuse ; il est mort vainqueur. Accepte ce que je te donne pour son corps. » Gobryas et Gadatas venaient d’apporter une grande quantité d’ornements précieux. « D’autres honneurs, continue Cyrus, sache-le bien, lui sont encore réservés : on lui élèvera un tombeau digne de toi et de lui, et on immolera en son honneur les victimes qui conviennent à un brave. Pour toi, tu ne resteras point sans appui : j’honorerai ta sagesse et tes autres vertus ; je te donnerai quelqu’un qui te conduise, où que tu veuilles aller. Dis-moi seulement où tu désires qu’on te mène. » Panthéa lui répond : « Ne te mets pas en peine, Cyrus : je ne te cacherai point vers qui j’ai dessein d’aller. »

« Après cet entretien, Cyrus se retire, prenant en pitié la femme privée d’un tel mari, le mari qui ne doit plus revoir une telle femme. Panthéa fait éloigner ses eunuques : « Afin, dit-elle, de m’abandonner, comme je veux, à ma douleur. » Elle ordonne à sa nourrice seule de rester, et lui recommande, quand elle sera morte, de couvrir son corps et celui de son mari du même tapis. La nourrice essaye par ses supplications de la détourner de son dessein ; mais, voyant que ses instances ne font que l’irriter,