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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/81

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blable enfin à ces athlètes qui, triomphant sans peine dans toutes les luttes, négligent tout exercice, Alcibiade de même se négligea tout à fait. Placés dans de telles circonstances, et d’ailleurs enflés de leur naissance, fiers de leur richesse, enivrés de leur pouvoir, amollis par une foule de complaisants, corrompus de tant de côtés à la fois, éloignés depuis longtemps de Socrate, qu’y a-t-il d’étonnant que leur insolence ait passé les bornes ? Et puis, les fautes qu’ils ont commises, l’accusateur les impute à Socrate ! Mais quand ils étaient jeunes tous les deux, à un âge où ils devaient être plus que jamais déréglés et intempérants, Socrate les a contenus dans la sagesse : l’accusateur ne le croit-il pour cela digne d’aucun éloge ? En toute autre occurrence on ne juge point ainsi. Où est le joueur de flûte, le cithariste, le maître quelconque, que l’on rende responsable, si les élèves qu’il a formés deviennent mauvais sous d’autres maîtres ? Où est le père qui, lorsque son fils, demeuré sage dans le commerce d’un ami, est devenu mauvais dans la société d’un autre, s’avise d’accuser le premier ami ? N’est-il pas vrai, au contraire, que plus le fils est devenu vicieux avec le second, plus le père donne d’éloges au premier ? Mais les pères eux-mêmes, qui vivent avec leurs fils, quand ces enfants tournent mal, n’en sont point responsables, s’ils sont sages de leur côté. C’est ainsi qu’il était juste de juger Socrate : si, de lui-même il a fait quelque chose de mal, on a raison de le traiter d’homme pervers ; mais s’il n’a pas cessé de vivre en homme de bien, est-il juste de l’accuser d’une dépravation qui n’était point en lui ?

Si pourtant, en s’abstenant du mal, il eût vu, sans les désapprouver, les honteuses actions des autres, on serait en droit de le blâmer. Mais s’étant aperçu que Critias, épris d’Euthydème, voulait en jouir à la manière de ceux qui abusent de leur corps pour satisfaire à leurs désirs amoureux, il s’efforça de l’en détourner : il lui dit qu’il était indigne d’un homme libre, et inconvenant pour un ami de la vertu d’aller, comme un mendiant, solliciter une chose de l’objet aimé, auprès duquel on tient surtout à se faire valoir, et notamment une chose qui n’a rien d’estimable. Critias faisait la sourde oreille et ne consentait point à s’éloigner ; alors on prétend que Socrate dit devant une nombreuse assistance, et en présence d’Euthydème, que Critias avait, selon lui, quelque ressemblance avec un porc, puisqu’il voulait se frotter contre Euthydème, comme les porcs se frottent contre les pierres.