Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/90

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vait d’assaisonnement[1] : toute boisson lui était agréable, parce qu’il ne buvait jamais sans avoir soif. S’il voulait bien se rendre à un repas où il était convié, ce soin si pénible à la plupart des hommes, de ne pas se gorger outre mesure, il le prenait avec la plus grande facilité : pour ceux qui ne pouvaient en faire autant, il leur conseillait de ne pas manger sans appétit, et de ne pas boire sans soif. « C’est là, disait-il, ce qui fait mal au ventre, à la tête et à l’âme. » Il ajoutait, en plaisantant, que, selon lui, Circé employait l’abondance des mets pour changer les hommes en pourceaux, et qu’Ulysse, devait aux conseils de Mercure[2], à sa tempérance naturelle et à son abstention de mets servis en surabondance, de n’avoir pas été changé en pourceau. C’est ainsi que, sur cette question, il mêlait le plaisant au sérieux.

Quant à ce qui regarde l’amour, il conseillait de fuir bravement la société des personnes belles. « Il n’est pas aisé, disait-il, de rester sage dans leur commerce. » Un jour donc ayant appris que Critobule, fils de Criton[3], avait donné un baiser au fils d’Alcibiade, garçon charmant, il tint ce discours à Xénophon, en présence même de Critobule : « Dis-moi, Xénophon, ne croyais-tu pas que Critobule fût un sage plutôt qu’un amoureux indiscret, un homme prudent plutôt qu’un insensé et un aventureux ? — Assurément, dit Xénophon. — Eh bien, regarde-le maintenant comme le plus bouillant et le plus entreprenant des hommes : il est capable de se jeter tête baissée sur les épées et de sauter dans le feu. — Que lui as-tu donc vu faire, dit Xénophon, pour l’accuser ainsi ? — N’a-t-il pas eu l’audace de donner un baiser au fils d’Alcibiade, ce garçon si joli et si frais ? — Mais si c’est là, dit Xénophon, l’acte d’un aventureux, il me semble que je pourrais bien moi-même courir pareille aventure. — Malheureux ! dit Socrate, sais-tu ce qui t’arriverait, si tu donnais un baiser à un joli gar-

  1. Le mot ὄψον dit plus en grec, « Les anciens Athéniens donnaient ce nom à l’ensemble des mets qui composaient soit un simple repas, soit un festin. Originairement on désignait ainsi tous les aliments qui n’étaient pas une préparation de grains. Du temps de Platon, l’opson comprenait le sel, les olives, le fromage, les choux, les figues, les baies de myrte, les noix, les légumes secs, toutes sortes de légumes, ainsi que les préparations de chair et de poisson. Plus tard, la signification changea, et l’on n’entendit plus par opson que le poisson, mets favori des gourmands et des gens délicats. » Ch. Dezobry. — Cf. Cicéron, Tusculanes, V, xxxiv.
  2. Voy. dans Homère, Odyssée, X, 239 et suivantes, la fable de Circé.
  3. Son frère, d’après Schneider et Weiske.