Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/192

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nombreux bienfaits, prompts à accourir pour se mettre à ta dis position, que s’ils présumaient et que les autres ne viendront pas à toi, à cause de la défiance qu’inspire ta conduite actuelle, et que les soldats sont déjà mieux disposés pour eux que pour toi ? D’ailleurs, ce n’est point parce qu’ils nous étaient inférieurs en nombre que ces, peuples t’ont cédé, mais faute de chefs. Aussi est-il à craindre aujourd’hui qu’ils ne prennent pour chefs quelques-uns de ceux qui croient avoir des griefs contre toi, ou bien les Lacédémoniens qui sont plus puissants encore, surtout si les soldats promettent de servir avec plus d’empressement ceux qui les auront fait payer, et si les Lacédémoniens, vu le besoin qu’ils ont de l’armée, consentent à tout cela. Que les Thraces aujourd’hui soumis à ta loi soient beaucoup plus empressés à marcher contre toi qu’avec toi, cela ne fait pas doute : car, si tu es vainqueur, c’est l’esclavage qui les attend ; vaincu, la liberté.

« S’il faut aussi songer un peu à ce pays devenu tien, ne crois-tu pas qu’il subira moins de dommages, si les soldats, après avoir reçu ce qu’ils demandent, se retirent paisiblement, que s’ils y demeurent comme en pays ennemi et que tu essayes de lever contre eux une armée, qui aura besoin de subsistances ? Quant à l’argent, crois-tu qu’il t’en coûtera plus en nous payant sur-le-champ ce qui nous est dû qu’en continuant à nous le devoir, et en te voyant contraint d’en soudoyer d’autres plus nombreux ?

« Mais Héraclide, ainsi qu’il me l’a déclaré, trouve que c’est beaucoup d’argent. Oui ; mais il t’est bien plus facile aujourd’hui de lever cet argent et de le payer, que jadis, avant notre venue auprès de toi, d’en donner le dixième. Ce n’est pas la quotité d’une somme qui la rend considérable ou légère, ce sont les moyens de celui qui paye et de celui qui reçoit. Or, tes revenus annuels excèdent maintenant tout le fonds que tu possédais autrefois.

« Pour moi, Seuthès, je t’ai parlé avec les égards dus à un ami, afin que tu te montres digne des biens que les dieux viennent de te donner, et que je ne me perde point dans l’opinion du soldat. Car, sache-le bien, si je voulais en ce moment faire du mal à un ennemi, je ne le pourrais avec l’armée telle qu’elle est disposée, et, si je voulais te venir encore en aide, j’en serais également incapable. Cependant, je te prends à témoin, Seuthès, avec les dieux qui savent tout, que je n’ai rien reçu de toi pour les services que font rendus les soldats, et que