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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/200

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qu’on appelle pasteurs sont considérés comme les chefs de ces animaux qu’ils surveillent. Or, il nous semblait voir que ces troupeaux obéissent plus volontiers à ceux qui les conduisent, que les hommes à ceux qui les gouvernent. Car les troupeaux vont où les pasteurs les mènent, paissent dans les endroits où on les lâche, s’abstiennent de ceux dont on les écarte, et laissent les pasteurs user de ce qu’ils rapportent absolument comme ils l’entendent. En effet, nous n’avons jamais appris qu’aucun troupeau se soit révolté contre le pasteur, ou pour ne point obéir, ou pour ne pas leur permettre d’user du produit qu’il leur donne. Il y a plus, les troupeaux sont moins faciles à tous les étrangers qu’à ceux qui les gouvernent et qui en tirent profit. Les hommes, au contraire, conspirent de préférence contre ceux qu’ils voient entreprendre de les gouverner.

Ces réflexions nous conduisaient à conclure qu’il est facile à quiconque est né homme de gouverner toute espèce d’animaux, plutôt que des hommes. Mais quand nous eûmes considéré que jadis Cyrus le Perse eut sous sa domination une immense quantité d’hommes qui lui obéirent, une immense quantité de villes et une quantité immense de nations, nous fûmes obligé de changer d’avis et de reconnaître que ce n’est point une œuvre impossible, ni même difficile, de gouverner les hommes, quand on s’y prend avec adresse. En effet, nous savons que des hommes se sont empressés d’obéir à Cyrus, bien qu’éloignés de lui d’une marche d’un grand nombre de journées et même de mois, quelques-uns ne l’ayant jamais vu, et d’autres sachant qu’ils ne le verraient jamais : et cependant ils voulaient être ses sujets. Aussi laissa-t-il bien loin derrière lui les autres rois qui ont hérité du pouvoir paternel ou qui ont acquis par eux-mêmes leur empire. En effet, le roi des Scythes ne pourrait se rendre maître d’aucun autre peuple, quoique les Scythes soient très-nombreux, mais il se contenterait de demeurer chef de sa propre nation ; le roi de Thrace voudrait demeurer chef des Thraces, l’Illyrien des Illyriens, et de même pour toutes les autres nations connues. De là vient qu’il y a, dit-on, encore aujourd’hui en Europe tant d’États indépendants et détachés les uns des autres. Mais Cyrus, ayant trouvé les nations de l’Asie également indépendantes, se met d’abord en campagne avec une petite armée de Perses, devient chef des Mèdes et des Hyrcaniens[1], qui s’empressent de lui obéir, et subjugue les

  1. Fréret fait observer que les Hyrcaniens soumis par Cyrus ne doivent pas être confondus avec ceux de la mer Caspienne. Les Hyrcanîens de la Cyropédie étaient censés habiter le pays qui se trouve à quatre ou cinq journées au sud de la Babylonie. (Voy. Mém..de l’Acad. des Inscript., t. IV, p. 604 et suivantes.)