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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/246

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lochage avec sa cuirasse et son sabre, un autre suit celui-ci, et bientôt tout le loche est en course. Puis ils reviennent tous apportant la lettre. Et voilà, dit-il, comment mon loche observe exactement les ordres émanés de toi. »

Tous les assistants se mettent à rire, comme de raison, de la lettre ainsi escortée. Mais Cyrus s’écrie : « Ô Jupiter et tous les dieux, quels compagnons d’armes nous avons ici ! Les uns sont si faciles à traiter, qu’un maigre repas suffit pour gagner complètement leur affection, et les autres si dociles qu’avant de savoir ce qu’on leur commande, ils obéissent. Pour ma part, je ne sais si l’on pourrait souhaiter d’avoir de meilleurs soldats. » Et Cyrus se met à rire, en faisant ainsi leur éloge. Il y avait sous la tente un certain lochage nommé Aglaïtadas, homme d’une humeur très-sévère. Il s’exprime à peu près ainsi : « Est-ce que tu crois, Cyrus, dit-il, que ces gens-là ont dit la vérité ? — Et quel intérêt, dit Cyrus, auraient-ils à mentir ? — Pourquoi ? par la volonté de faire rire. Et c’est là la raison pour laquelle ils parlent ainsi et se vantent eux-mêmes. » Alors Cyrus : « Plus de réserve, dit-il, ne les traite point de vantards. Le vantard, selon moi, est un homme qui se donne pour plus riche ou pour plus brave qu’il n’est, et qui promet de faire des choses dont il est incapable, et cela, avec l’intention évidente de recevoir quelque chose et de tirer quelque profit. Mais ceux qui s’ingénient de faire rire leurs amis, sans profit pour eux-mêmes, sans tort pour les écouteurs et sans dommage pour eux-mêmes, comment ne pas les appeler spirituels et aimables plutôt que vantards ? »

C’est ainsi que Cyrus justifie ceux qui ont fait Tire. Mais le taxiarque, qui avait raconté l’aventure plaisante du loche, ajoute : « Dis-moi donc, Aglaïtadas, est-ce que tu ne nous aurais pas fortement blâmés, si nous avions essayé de te faire pleurer, comme ces gens qui étudient tout exprès certains discours ou certaines chansons lugubres pour tirer des larmes ? Et maintenant que nous voulons, tu le sais bien toi-même, vous égayer un peu, sans vous nuire en rien, tu nous rabaisses le plus possible. — Oui, par Jupiter, répond Aglaïtadas, car j’ai raison. Il me semble qu’il est souvent plus utile de faire pleurer ceux qu’on aime que de les faire rire. Et tu trouveras toi-même, si tu veux y réfléchir, que je dis vrai. C’est par des pleurs que les pères enseignent la sagesse à leurs fils et les maîtres de bonnes connaissances aux enfants. Les lois ne dirigent les citoyens vers la justice qu’en leur imposant des pleurs, tandis que ceux qui