Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/263

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partout où il te le dirait, et de ne point avoir de fortifications ? — C’est vrai. — Pourquoi donc n’as-tu envoyé ni tribut, ni soldats ? pourquoi as-tu fait construire des fortifications ? — Je désirais la liberté ; car il me semblait beau d’être libre et de léguer la liberté à mes enfants. — Il est beau, sans doute, dit Cyrus, de combattre pour échapper à l’esclavage ; mais si un homme, vaincu dans une guerre ou asservi de toute autre manière, essayait ouvertement de se dérober à ses maîtres, dis-moi toi-même, le récompenserais-tu comme un homme loyal et agissant bien, ou bien, si tu le prenais, le châtierais-tu comme un coupable ? — Je le punirais, puisque tu ne veux pas que je mente. — Réponds nettement, dit Cyrus, à chacune de mes paroles. Si tu avais quelque homme en dignité qui fît une faute, lui laisserais-tu ses fonctions ou en mettrais-tu un autre à sa place ? — J’y mettrais un autre. — Ensuite, s’il avait de grande biens, le laisserais-tu riche ou le ferais-tu pauvre ? — Je lui ôterais ce qu’il posséderait. — Et si tu découvrais qu’il est d’intelligence avec tes ennemis, que ferais-tu ? — Je le tuerais : eh ! ne vaut-il pas mieux que je meure, disant la vérité que convaincu de mensonge ? »

À ces mots, son fils arrache sa tiare de dessus sa tête et déchire ses vêtements : les femmes poussent de grands cris et se meurtrissent le visage, comme si leur père n’était déjà plus et qu’eux tous fussent déjà perdus. Cyrus ordonne le silence et continue : « Bien, dit-il ; voilà donc, Arménien, ta règle de justice. D’après cela, que nous conseilles-tu de faire ? » L’Arménien, réduit à se taire, ne sait s’il doit conseiller à Cyrus de le condamner à mort ou lui conseiller le contraire de ce qu’il a dit lui-même. Alors son fils Tigrane s’adressant à Cyrus : « Dis-moi, Cyrus, demande-t-il, puisque mon père a l’air d’hésiter, puis-je te conseiller ce que je crois être le meilleur ? » Cyrus se rappelant que, quand Tigrane chassait avec luit il avait près de lui un certain sophiste que Tigrane admirait beaucoup, désira beaucoup savoir ce qu’il dirait en cette rencontre ; il l’engage donc volontiers à dire ce qu’il pense.

« Pour moi donc, dit Tigrane, si tu approuves tous les desseins de mon père, toutes ses actions, je te conseille sincèrement de l’imiter ; mais, si tu crois qu’il est de tout point en faute, je te conseille de ne pas l’imiter. — Eh bien, dit Cyrus, en pratiquant la justice, je n’imiterai point un coupable. — C’est vrai. — Ainsi, de ton propre aveu, il faut punir ton père, puisqu’il est juste de punir un coupable. — Mais lequel vaut mieux