Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/309

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CHAPITRE VI.


Gobryas passe à Cyrus. — Rapport sur le partage du butin.


Voilà où l’on en était. Sur ces entrefaites, Gobryas, vieillard assyrien, arrive à cheval suivi d’une escorte de cavaliers : ils avaient tous les armes ordinaires à la cavalerie. Ceux qui étaient préposés pour recevoir les armes, leur demandent leurs piques pour les brûler comme le reste. Mais Gobryas dit qu’il veut d’abord voir Cyrus. Les valets font rester ses cavaliers à l’endroit où ils se sont arrêtés, et conduisent Gobryas à Cyrus. Celui-ci, dès qu’il a vu Cyrus, lui parle ainsi : « Maître, je suis Assyrien de naissance ; j’ai un château fort et je commande à un vaste pays ; je dispose d’environ deux mille trois cents chevaux que je fournissais au roi des Assyriens, et j’étais son ami intime. Mais maintenant qu’il est mort sous vos coups, cet excellent homme, et que son fils lui a succédé, mon ennemi mortel, je viens à toi, je tombe suppliant à tes genoux, et je me donne à toi comme esclave et comme allié, te demandant, en retour, d’être mon vengeur. Je fais de toi mon fils, comme je le puis, car je n’ai point d’enfants mâles. J’en avais un, ô mon maître, qui était beau et bon ; il m’aimait, il me respectait avec la déférence d’un fils qui fait le bonheur de son père. Le roi régnant, père du roi actuel, le mande un jour pour donner sa fille à mon enfant ; et moi je l’envoie, tout fier de voir mon fils épouser la fille du roi : le roi actuel l’invite à une chasse, et le laisse courir en toute liberté après la bête, l’estimant beaucoup meilleur cavalier que lui : mon fils croit chasser avec un ami : une ourse paraît : tous deux la poursuivent : le roi actuel vise, et manque ; plût aux dieux qu’il n’eût pas manqué ! Mon fils, plus adroit qu’il n’eût fallu, lance son javelot et abat l’ourse. L’autre fâché dissimule sa jalousie. Quelques instants après, un lion se présente : le prince manque son coup une seconde fois, accident qui n’a rien d’extraordinaire, tandis que mon fils, par un second bonheur, atteint ce lion, et s’écrie : « Ainsi par deux fois j’ai visé et par deux fois j’ai abattu la bête ! » Le traître alors ne contient plus sa jalousie ; mais saisissant la javeline de l’un de ceux qui le suivaient, il la lance dans la poitrine de mon fils unique et bien-aimé et lui ôte