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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/310

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la vie. Et moi, père infortuné, au lieu d’un fiancé je retrouve un cadavre, et je mets au tombeau, à mon âge, le meilleur, le plus cher des fils, à peine adolescent. On eût dit que l’assassin s’était défait d’un ennemi : nul repentir apparent, en expiation de son crime, nul honneur rendu à celui qui était sous la terre. Son père seul me plaignit et se montra sensible à mon malheur. Aussi moi, s’il vivait encore, je ne viendrais pas implorer ton secours contre lui : car j’ai reçu de lui autant de preuves d’amitié que je lui en ai donné de dévouement. Mais maintenant que le pouvoir est au meurtrier de mon fils, je ne puis avoir pour lui des sentiments de bienveillance ; et lui-même, j’en suis sûr, ne saurait me considérer comme ami. Il sait bien comment je suis pour lui, qu’avant son crime je vivais heureux, et que maintenant je traîne ma faiblesse dans l’abandon et dans les larmes. Si tu me reçois dans ton alliance et si tu me donnes quelque espoir de venger mon fils chéri, je croirai renaître à la jeunesse ; la vie ne me paraîtra plus une honte, et la mort m’arrivera sans regret. »

Ainsi parle Gobryas ; Cyrus lui répond : « Si tu as dans le cœur, Gobryas, tout ce que tu viens de nous dire, je te reçois comme suppliant, et je te promets, avec l’aide des dieux, de punir le meurtrier de ton fils. Mais, dis-moi, si nous faisons cela pour toi et que nous te laissions ton château, avec le pays et la puissance que tu avais autrefois, en retour, quel service nous rendrais-tu ? » Gobryas répond : « Mon château, si tu y viens, sera ta demeure : je te payerai le tribut des terres que je payais à l’autre ; partout où tu feras la guerre, je t’accompagnerai avec toutes les forces de mon pays. J’ai de plus une fille nubile, que je chéris, et que je croyais élever pour être la femme du roi actuel : ma fille elle-même est venue tout en larmes me supplier de ne pas la donner au meurtrier de son frère ; et je partage ses sentiments. Maintenant je remets son sort entre tes mains ; sois pour elle ce que tu vois que moi-même je te semble être pour toi. » Cyrus lui dit : « À ces conditions sincères, je te donne ma main et je reçois la tienne : les dieux nous soient témoins ! » Cela fait, il engage Gobryas à se retirer avec ses armes, et lui demande à quelle distance il est de chez lui, s’il veut y aller. Gobryas lui répond : « En partant demain, dès le matin, le jour suivant tu logeras chez nous. » Sur cela, Gobryas se retire, laissant un guide.

Cependant les Mèdes retiennent après avoir délivré pour les dieux ce que les mages eux-mêmes ont demandé, et mis à part