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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/415

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et à moins de frais encore : il me suffira que tu partages avec moi. — Tu plaisantes, dit le Sace. — Je te jure, dit Phéraulas, que je parle sérieusement. Je me charge même d’obtenir de Cyrus que tu ne viennes plus aux portes lui rendre hommage, et que tu n’ailles plus à l’armée. Sois riche et demeure à la maison : je fais cela plus pour moi que pour toi. Si par mon zèle auprès de Cyrus je mérite de nouveaux bienfaits, si je fais quelque prise à la guerre, je te l’apporterai pour augmenter l’on avoir. Seulement, délivre-moi de tout ce soin : si je m’en vois débarrassé, je crois que tu m’auras rendu un grand service, aussi bien qu’à Cyrus. » À ces mots, il font entre eux la convention, et agissent en conséquence : l’un se croit heureux d’être maître de tant de richesses ; l’autre, de son côté, s’estime le plus heureux des hommes d’avoir un intendant, qui lui procure le loisir de satisfaire ses goûts.

De sa nature, Phéraulas était bon compagnon ; il n’aimait rien tant que de rendre service aux autres, que de leur être utile ; il regardait l’homme comme le plus sensible et le plus reconnaissant des êtres animés, parce qu’il voyait que ceux qui sont loués par un autre s’efforcent à leur tour de le louer ; que ceux qui reçoivent un service s’empressent de le rendre ; que ceux dont on éprouve la bienveillance, on se montre à son tour bienveillant pour eux ; que ceux dont on se sent aimé, on ne peut jamais les haïr ; qu’entre tous les animaux, l’homme se distingue par la piété filiale, par les devoirs qu’il rend à ses parents pendant leur vie et après leur mort ; en un mot, il pensait que, de tous les êtres vivants, il n’y en a pas de plus reconnaissant ni de plus sensible que les hommes. Phéraulas donc était ravi de pouvoir, en se débarrassant du soin de ses affaires, se livrer au commerce de ses amis, et le Sace était enchanté d’avoir beaucoup de biens dont il pût disposer. Le Sace aimait Phéraulas, qui apportait toujours, et Phéraulas aimait le Sace, qui était toujours prêt à recevoir, et qui, malgré le surcroît de soins qu’entraînait leur richesse accrue, ne troublait point son loisir. Ainsi vivaient-ils ensemble.