Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/443

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et met à la voile ; mais comment faire mieux apprécier son talent de général qu’en racontant ce qu’il fit ? Or, voici son début en Asie.

Tissapherne avait juré à Agésilas que, s’il acceptait une trêve jusqu’au retour des messagers qu’il avait envoyés au roi, il lui accorderait la liberté des villes grecques d’Asie, et, de son côté, Agésilas s’était engagé par serment à observer loyalement la trêve, en accordant un délai de trois mois. Tissapherne manqua aussitôt à son serment. Au lieu de la paix, il sollicita du roi l’envoi de nouveaux renforts. Agésilas, s’en étant aperçu, respecta cependant la trêve.

Or, c’est, selon moi, un trait fort remarquable d’avoir, d’une part, en montrant Tissapherne parjure, rendu la foi de celui-ci suspecte aux yeux de tous ; d’autre part, en se montrant lui-même constant dans sa parole et fidèle observateur des traités, d’avoir amené les Grecs et les Barbares à se fier à lui pour toutes les transactions qu’il eût pu souhaiter[1].

Cependant Tissapherne, fier de ses nouvelles troupes, déclare la guerre à Agésilas, s’il ne sort à l’instant de l’Asie : les alliés et ceux des Lacédémoniens qui étaient présents paraissaient effrayés, croyant que les forces inférieures d’Agésilas ne pourraient pas tenir contre les troupes nombreuses du roi ; mais Agésilas, d’un visage serein, charge les envoyés de Tissapherne de le remercier vivement de ce que, par son parjure, il a rendu les dieux ennemis des Perses et alliés des Grecs. Sur-le-champ, il ordonne aux soldats de se préparer à la campagne ; enjoint aux villes, par où il doit passer pour se rendre en Carie, de lui préparer des vivres, et fait avertir les Ioniens, les Éoliens et les Hellespontins de lui envoyer des renforts à Éphèse.

Cependant Tissapherne, sachant qu’Agésilas n’avait point de cavalerie, la Carie ne se prêtant point aux manœuvres hippiques, sentant du reste qu’il leur garde rancune de sa perfidie, et ne doutant pas qu’il ne se jetât dans la Carie, sa résidence, y fait passer toute son infanterie, et entoure de sa cavalerie les plaines du Méandre, persuadé qu’il écrasera les Grecs tous ses chevaux, avant qu’ils arrivent au pays où les chevaux ne pouvaient agir. Mais, au lieu d’aller en Carie, Agésilas, faisant un détour soudain, s’avance vers la Phrygie, recueille, dans sa marche, les troupes à mesure qu’elles arrivent, prend les villes de force, et, grâce à cette invasion imprévue, fait un immense

  1. Cf. Élien, Hist. div., XIV, 2, et Cornélien Nepos, Agésil., II.