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LA PORTEUSE DE PAIN

— Oh ! quant à cela, jamais !! jamais !! — s’écria Jeanne Fortier avec un accent d’inébranlable résolution.

— Il ne faut point dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau !

— Jamais !! — répéta la jeune femme.

— Laissez donc !… On croit ça… et puis le temps passe… — Les idées changent… — À votre âge on ne reste pas veuve éternellement…

— Cela se voit, je le sais bien… — Celles qui se remarient ont peut-être raison… Moi, j’ai d’autres idées…

— Lesquelles ?

Le visage de Jeanne s’assombrit.

— Ah ! — murmura-t-elle, — si seulement j’avais devant moi quelque argent… deux ou trois billets de mille francs.

— Qu’est-ce que vous feriez ?

— Ce que je ferais ?… Mais à quoi bon penser à cela ? À quoi bon bâtir des projets ? Ce sont des rêves qui ne peuvent se réaliser… Je n’aurai jamais d’argent dans les mains… D’où m’en viendrait-il ?… Je resterai à l’usine tant que je pourrai… pour mes enfants… J’espérerai en l’avenir, sinon pour moi, du moins pour eux…

— C’est ça… l’espérance donne du courage… — Voici votre pétrole…

L’épicière tendit à Jeanne son bidon alourdi par le liquide, et poursuivit :

— Si vous m’en croyez, vous enfermerez le bidon dans une armoire en arrivant chez vous… — Méfiez-vous d’une imprudence du gosse. — Ces moucherons-là, ça n’est pas responsable.

— Ah ! soyez tranquille, j’ai trop peur du feu ! je prendrai toutes mes précautions…

— À la bonne heure… — Allons, au revoir…

La jeune femme sortit de l’épicerie après avoir payé.

Le petit Georges jouait toujours devant la porte.

La mère l’appela.

L’enfant mit sous son bras son cheval de carton et vint la rejoindre.

Mme Fortier reprit la route d’Alfortville pour regagner la fabrique dont elle était concierge.

Debout sur le seuil de son magasin, l’épicière la regardait s’éloigner.

— Une brave et digne femme, tout de même, — murmurait-elle, — bien méritante et bien éprouvée… — Ah ! le fait est que son mari doit lui manquer rudement, car je la crois ambitieuse… Elle ne m’a point expliqué ses idées, mais elle en a, c’est positif… — Il lui faudrait deux ou trois billets de mille francs pour essayer n’importe quoi… Mazette !! comme elle y va !! — Ça ne se rencontre point dans le pas d’un cheval,