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LA PORTEUSE DE PAIN

— Est-ce vrai que vous ne m’aviez pas entendu, Jeanne Fortier ? — demanda Garaud.

— Puisque je vous le dis…

— Ce n’est point une raison pour que je le croie… — Vous évitez toujours de vous trouver auprès de moi… — Vous savez pourtant bien que je suis heureux, très heureux, quand je puis échanger avec vous quelques paroles… — N’est-ce pas que vous le savez, Jeanne ?…

— Monsieur Jacques, — dit vivement la jeune femme, — ne recommencez pas à me parler comme vous l’avez fait plusieurs fois !… Cela me cause beaucoup de peine… J’en éprouve un vrai chagrin…

— Et moi, Jeanne, croyez-vous donc que je n’éprouve point de peine, que je ue ressens point de chagrin ? — La froideur de votre accueil, votre air de défiance avec moi me font souffrir, cruellement souffrir… — Je vous aime de toutes mes forces, Jeanne !… Je vous adore et vous le savez !!…

— Vous voyez bien, — interrompit la jeune veuve, — vous voyez bien que j’avais raison de hâter le pas pour ne pas vous entendre.

— Est-ce que je peux imposer silence à mon cœur qui déborde ? Est-ce que je puis me taire quand je suis près de vous et que mon unique pensée, c’est vous ?… — Jeanne, je vous aime !… — II faut vous habituer à me l’entendre dire… à me l’entendre répéter sans cesse.

— Et sans cesse aussi, je vous dirai, moi, je vous répéterai que votre amour est une folie !! — répliqua la jeune veuve.

— Une folie !! pourquoi ?

— Parce qu’il ne peut vous conduire à rien…

— À rien qu’à être votre mari…

— Je ne me remarierai jamais…

— Vous croyez cela ?…

— Je fais plus que le croire, j’en suis sûre…

— Et moi, je suis sûr du contraire… — Il y a des choses impossibles !… Vous êtes jeune… vous êtes jolie à faire tourner toutes les têtes… Est-ce que vous pouvez passer dans le veuvage, dans l’indifférence, dans la solitude le reste de vos jours ? — Allons donc !…

— C’est ce que je ferai, cependant…

— Vous espérez me décourager en parlant ainsi… Mais rien ne décourage un amour comme le mien… — J’ai pour moi l’avenir…

— Monsieur Garaud, taisez-vous, je vous en prie…

— Pourquoi me taire ? Je dis la vérité !

— Vous devriez vous souvenir que cinq mois à peine se sont écoulés depuis la mort de mon pauvre Pierre et que, quoiqu’il fût sous vos ordres, puisque vous êtes le contremaître de l’usine, il était votre ami.

— Certes, je ne l’oublie pas !! Mais est-ce outrager sa mémoire que de