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LA PORTEUSE DE PAIN

figure charmante, mais encore la démarche pleine de distinction naturelle de cette femme du peuple, car c’est bien d’une femme du peuple que nous venons de tracer un croquis rapide.

De la main droite elle tenait un bidon de fer-blanc à anse mobile ; de la main gauche elle serrait la menotte rose d’un bébé de trois ans environ qui marchait à pas lents en tirant derrière lui par une ficelle un petit cheval de bois et de carton, au ventre bourré d’étoupes.

Ce petit cheval, jouet commun et à bon marché, revêtu d’une couche de peinture grisâtre tigrée de taches noires, était fixé sur une planche supportée par quatre roulettes minuscules.

Ces roulettes rencontrèrent un caillou qui les arrêta.

— Hue, dada ! — cria le bébé en donnant une saccade à la ficelle.

Cette saccade détruisit l’équilibre du jouet, qui tomba sur le côté.

C’était la cinquième fois depuis quatre minutes.

La jeune femme fit halte aussitôt.

— Voyons, Georges, — dit-elle à l’enfant, d’une voix douce et caressante, — prends ton joujou, mon chéri, et porte-le… Nous serions trop long­temps en route.

— Oui, petite maman…

Le bébé, obéissant, saisit son dada par la tête, le mit sous son bras, puis reprit la main de sa mère, et tous deux continuèrent leur chemin.

Ils passèrnet devant le fort de Charenton et atteignirent bientôt les premières maisons d’Alfortville.

La jeune femme entra dans une petite boutique d’épicerie et, n’y voyant personne, frappa sur le comptoir deux ou trois coups.

Une forte commère sortit aussitôt d’une pièce voisine.

— Tiens, c’est vous, m’ame Fortier, — dit-elle. — Bonjour, m’ame Forlier… — Qu’est-ce qu’il faut vous servir ?

— De l’huile de pétrole, s’il vous plaît…

La marchande fit un geste de surprise et s’écria :

— De l’huile de pétrole !… encore ! — Mais, mon bon Dieu, qu’est-ce que vous en faites ? — Vous en avez déjà pris hier…

— Mon gamin a renversé le bidon en jouant… — répondit Mme Fortier.

— C’est donc ça !… Beau bénéfice pour vous ! — Combien qu’il vous en faut ?

— Quatre litres, s’il vous plaît, afin de ne pas revenir si souvent…

Le petit Georges, resté dans la rue, s’amusait devant la porte avec son cheval de carton.

L’épicière s’était mise en devoir de mesurer le liquide demandé.

— C’est dangereux, tout de même, ces moutards ! — disait-elle tout en mesurant. — Savez-vous que votre gosse, en renversant le bidon, pouvait